Pensée réduite à des réflexes affectifs pavloviens de rejet ou d’adhésion, incapacité au recul et à l’analyse, voire pour bon nombre de journalistes à poser la moindre question pertinente, élites apparemment de plus en plus déconnectées (et décomplexées dans leur déconnexion), déclarations aussi creuses que grandiloquentes, éléments de langage stéréotypés à un point robotique (par exemple « fake news » ou « conspi »), leçons de morale à tire-larigot, postures et indignations de commande, polémiques de bac à sable et débats résumés à des échanges d’invectives, xénophobie invasive (contre les Russes, les Chinois, les Iraniens, etc), le discours dominant occidental, qui – c’est frappant pour ceux qui suivent les actualités internationales – se retrouve quasiment à l’identique, souvent même mot pour mot dans tous les pays de la zone d’influence des USA, s’est appauvri à un point alarmant.
Les USA et leurs alliés de l’OTAN font face à une menace existentielle. Mais la menace n’au aucun rapport avec la Russie, la Chine ou un quelconque autre « ennemi » extérieur.
Le pire ennemi de l’Occident est lui-même. Ou, pour être plus précis, c’est la banqueroute intellectuelle de ses leaders politiques et militaires, et du discours public dominant.
Cette semaine, le Prix Nobel Mario Vargas Llosa a accusé les USA de sombrer dans la « pauvreté politique et intellectuelle ». Il a dit, « Les conséquences sont prévisibles : la Chine et la Russie sont en train de prendre les places que les USA laissent vacantes, et gagnent de l’influence politique et économique. »
L’expression le plus claire de l’appauvrissement intellectuel et de l’hypocrisie est la constante russophobie colportée par les politiciens, chefs militaires, think tank et médias grand public américains et européens.
Presque aucune semaine ne s’écoule sans répétition de la rengaine selon laquelle la Russie menace les sociétés occidentales. Le président Vladimir Poutine est dépeint comme une sorte de « génie du mal » déterminé à saboter les fondements de l’Occident – sans qu’une explication plausible de la raison pour laquelle il entretiendrait d’aussi noirs desseins soit jamais donnée.
Et quand ce n’est pas la Russie, c’est une autre puissance étrangère censément malfaisante, comme la Chine, l’Iran ou la Corée du Nord. Oui, cette dernière a un programme d’armes nucléaires. Mais le public occidental entend rarement que la Corée du Nord s’est embarquée dans le développement de ces armes à la suite de décennies de harcèlement et de menaces de guerre de la part de Washington et de ses alliés.
Mais c’est la Russophobie qui occupe le plus le discours officiel des USA et de l’Europe.
Pendant toute la durée de l’année dernière et avant, la Russie a été accusée « d’interférer » avec les élections américaines et européennes, de subversion des processus démocratiques et de fomenter des divisions entre les alliés avec des « fake news ». Même le président Donald Trump, qui a réfuté les allégations d’interférences russes à plusieurs reprises, à d’autres moments a emboîté le pas aux russophobes. Il a signé le rapport de la Sécurité nationale des USA le mois dernier. Le rapport affirme, « La Russie cherche à affaiblir l’influence des USA dans le monde et à nous séparer de nos alliés… à travers des tactiques de subversion modernisées, la Russie interfère dans les affaires politiques intérieures de pays dans le monde entier… les USA et l’Europe travailleront ensemble à contrecarrer la subversion et l’agression russe. »
La russophobie – une peur morbide, irrationnelle de la Russie – est aujourd’hui pire qu’à n’importe quel moment de la Guerre froide, a dit le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov.
Le Premier ministre britannique Theresa May est volubile quand elle accuse la Russie de « semer la discorde » ; le président français Emmanuel Macron allègue que les médias russes ont interféré dans les élections de son pays l’année dernière. La semaine dernière, de façon désormais routinière, le commissaire pour l’Union européenne de la sécurité Sir Julian King a calomnié les organes médiatiques russes RT et Sputnik, en les traitant de « désinformation orchestrée par le Kremlin ».
Aucune des ces affirmations n’est jamais étayée par des preuves ou une analyse crédible quelconque. Elles relèvent uniquement de l’imagination et de la spéculation.
Sûrement, si des standards normaux d’intégrité journalistique et intellectuelle s’appliquaient, les affirmations contre la Russie devraient être soumises à des évaluations sur leur objectivité. Mais elles ne sont jamais évaluées ou remises en question. Elles sont seulement martelées et amplifiées par des politiciens, des think tanks et des médias.
Bien sûr, l’Occident ne manque pas de penseurs intelligents. Des experts de la Russie comme Stephen Cohen, des analystes des médias comme Ed Herman et des journalistes comme John Pilger sont indubitablement présents, et ils sont admirablement éloquents dans leur dissidence. Mais ces voix de la raison sont noyées dans la cacophonie d’inepties qui dominent le discours public.
Selon l’analyste politique américain Randy Martin, la classe politique des États-Unis est particulièrement touchée par la faillite intellectuelle générale.
Il dit que les accusations américaines contre les Russes « se sont épuisées » par manque de crédibilité. « Elles sont si affaiblies par le manque de faits et de crédibilité que les citoyens de bon sens en sont lassés. La description du monde officielle de Washington ne peut plus s’appliquer de façon pertinente aux relations internationales. »
Martin pose la question : « Comment un pays pourrait-il avoir un bon gouvernail quand sa pensée stratégique est si fondamentalement fausse et que, dans les faits, elle se fonde sur des hallucinations paranoïaques ? » Il ajoute, « Inévitablement, si une nation ou un groupe de nations construit des politiques et alloue des ressources en se fondant sur une évaluation totalement erronée du monde, alors ces démarches sont condamnées à un échec désastreux. »
Nous avons déjà noté la Stratégie de sécurité nationale des USA signée par Trump. Un autre exemple a été la dernière mouture du plan de stratégie de défense des USA dévoilée par le chef du Pentagone James Mattis la semaine dernière.
Le Pentagone affirme que la Russie (et la Chine) représentent désormais une plus grande menace envers la sécurité des USA que les groupes terroristes non-étatiques. Pour contrer la Russie, les USA prévoient d’augmenter leurs dépenses militaires jusqu’à des niveaux encore plus astronomiques – quelques 700 milliards de dollars par an. Cette dépense se soldera forcément par une dette nationale écrasante et une dégradation accrue des conditions sociales à la suite des coupes budgétaires nécessaires à son financement.
Également cette semaine, le chef des forces armées britanniques, le général Nick Carter a réitéré le récit fictionnel de Mattis. Dans une répétition symptomatique, il a affirmé que la Russie représente une plus grande menace envers la sécurité nationale de la Grande-Bretagne que le terrorisme.
Sous ce rapport aussi, la Grande-Bretagne cherche à imiter les USA en allouant plus de ressources aux dépenses militaires pour « faire face » à la menace russe alléguée.
Un des problèmes de base, dit l’analyste Randy Martin, est que le discours occidental est dominé par des think tanks liés au complexe militaro-industriel et à l’alliance de l’OTAN menée par les USA.
Ces think tanks, par exemple l’Atlantic Council, l’American Enterprise Institute et le Royal United Services Institute posent les paramètres du discours public, qui sont ensuite adoptés par les politiciens, les leaders militaires et les médias.
A cause de la banqueroute intellectuelle du discours occidental officiel, il n’y a pas de questionnement rigoureux de ces fausses prémisses et affirmations.
C’est aussi simple que ça : le capitalisme occidental dépend tellement de l’industrie militaire et de son financement que l’idéologie dominante doit être configurée de façon à satisfaire aux besoins de cette économie dévoyée. Cela nécessite le montage d’un monde d’ennemis et de menaces. Dans ce cadre, des pays comme la Russie doivent être diabolisés, sinon toute la mascarade s’écroulerait.
La fonction des think tanks, des politiciens, des chefs militaires et des médias grand public consiste à colporter la fiction « d’ennemis et de menaces » pour justifier un gâchis obscène de ressources économiques et sociales. Cette caricature de discours peut seulement être maintenue à travers la malhonnêteté et la banqueroute intellectuelle des USA et de ses alliés de l’OTAN.
Pourquoi est-ce que c’est déplorable ? Parce que cette tromperie systématique met en danger le monde entier en alimentant des tensions et en nous faisant risquer une guerre mondiale. Elle est également en train de tuer les sociétés du monde occidental à travers une montée des inégalités et une perte du lien social. Imaginons à quel point le monde serait plus humain si nos économies se redirigeaient ailleurs que dans le militarisme, vers l’amélioration des conditions de vie pour les masses de citoyens ordinaires.
La tromperie est si énorme qu’elle ne pouvait être réussie qu’à travers une corruption intellectuelle massive en Occident. L’ennemi de ces sociétés n’est pas une entité étrangère. L’ironie veut que les élites occidentales qui affirment défendre leur nation contre des menaces étrangères sont les seules, en réalité, à y faire des dégâts.
Par Finian Cunningham
Paru sur Sputnik News sous le titre West’s Fatal Intellectual Poverty
Traduction et note d’introduction Entelekheia
[MAJ d’Entelekeia : Via Zerohedge, les USA vont en fait augmenter leurs dépenses militaires de 13%, soit 716 milliards de dollars par an et non plus « seulement » les déjà démentiels 700 milliards prévus jusqu’à ces derniers jours. Et ce, alors même que déjà sous Obama, les USA dépensaient à eux seuls dans leur appareil militaire plus que les huit pays suivants les plus dépensiers conjugués. Plus d’infos dans l’introduction de l’article Pourquoi est-ce que Washington hait Bachar el-Assad ?]