Le gouvernement libanais risque de payer très cher sa complaisance vis-à-vis de l’opposition syrienne.
La politique officielle clamée par le gouvernement libanais sous influence saoudo-qatarie était, dès le déclenchement de la crise syrienne, d’une « neutralité absolue » vis-à-vis des belligérants. Une position compréhensible dans un pays très divisé et qui a été fondé sur une double affirmation : « le Liban ne sera ni un lieu de passage, ni une base contre la Syrie ». Cette double règle a été à l’origine du pacte national fondateur du Liban indépendant. À chaque fois que cette règle a été bafouée, le Liban l’a payé très cher.
Cette fois-ci, certains services et centres de pouvoir au Liban semblent acquis à l’idée que le régime syrien est chancelant et qu’il ne dispose plus de moyens de pression sur le Liban. Cela explique sans doute pourquoi le service des renseignements extérieurs (Chou’abat al Ma’aloumat), dirigé par un anti-syrien notoire, qui a déjà à son actif d’avoir trafiqué des preuves pour arrêter les quatre plus importants généraux libanais sous la présidence d’Emile Lahoud, avant d’être libérés faute de preuves, s’est permis d’arrêter un ancien ministre, Michel Samaha, proche du régime syrien, sous la gravissime accusation de comploter contre la sécurité du Liban. Une affaire rocambolesque qui risque de mettre le feu aux poudres si elle se révèle être une machination des services.
Il y a quelques mois, un navire chargé d’armes pour l’opposition syrienne a été arraisonné dans les eaux territoriales libanaises. Les frontières nord et est du Liban servent, c’est un secret de polichinelle, de lieu de passages des djihadistes et des armes pour l’opposition syrienne.
Jusqu’ici, ces provocations n’ont pas provoqué une réaction ferme de la part des alliés libanais de la Syrie. Et pour cause : le Hezbollah, conscient sans doute de la gravité de la situation, retenait ses hommes afin de ne pas provoquer un conflit avec Israël. Une prudence qui a été interprétée comme une faiblesse de la part du camp anti-syrien (le Mouvement du 14 mars de Hariri et une partie de l’État libanais).
Non content de soutenir logistiquement et médiatiquement l’opposition syrienne, certaines factions de cette opposition commencent à s’en prendre aux pèlerins chiites libanais et iraniens en Syrie même. Onze pèlerins libanais ont ainsi été enlevés par un groupuscule syrien opérant près de la frontière avec la Turquie depuis plus d’un mois. Une quarantaine d’Iraniens furent également enlevés dans la région de Damas par la même opposition syrienne. Last but not least, Hassan al-Moqdad, un jeune libanais résidant à Damas, appartenant au clan Al-Moqdad, une puissante tribu chiite, a été enlevé il y a quelques jours.
Trop, c’est trop. Passant outre les instructions du Hezbollah, le clan Mokdad enlève des opposants syriens, un Turc et un Saoudien au Liban et menace de viser des personnalités libanaises pour tenter de les échanger contre un des leurs enlevé cette semaine en Syrie.
« Nous avons enlevé à Beyrouth et dans la plaine de la Bekaa 33 Syriens, dont un capitaine de l’Armée syrienne libre qui était soigné dans un hôpital, pour obtenir la libération de notre parent Hassan, 40 ans, enlevé avant-hier en Syrie », a déclaré à l’AFP Hatem al-Mokdad, porte-parole du clan. « Demain, il y en aura peut-être 50 car c’est le seul moyen de préserver la vie de Hassan, et ceux qui ont ordonné ce rapt le paieront cher », a-t-il ajouté, précisant qu’il refusait toute médiation, à l’exception du Comité international de la Croix rouge (CICR) et du chef de l’armée libanaise.
Le conseiller politique de l’ASL, Bassam al-Dada, a indiqué, dans un entretien avec la chaîne de télévision Al-Jadeed, que « ce sont des réfugiés syriens qui ont été enlevés au Liban et non des membres de l’ASL ».
Dans le même temps, un des Syriens enlevés par « la branche militaire de la famille Al-Mokdad » a avoué être financé par le député libanais Khaled al-Daher, membre du bloc du Courant du futur (pro-saoudien), selon la télévision libanaise Al-Mayadeene.
L’otage a appelé l’Armée syrienne libre à le libérer et à relâcher les otages qu’elle détient en Syrie. Parallèlement, la famille Al-Mokdad a menacé le député Khaled al-Daher. « Vous avez des comptes à nous rendre », ont lancé des représentants de la famille lors d’un entretien télévisé.
Selon des télévisions arabes, un groupe rebelle syrien a revendiqué le rapt de Hassan al-Mokdad, l’accusant d’être un franc-tireur et un membre du Hezbollah, le mouvement chiite libanais qui soutient le régime syrien de Bachar al-Assad. « Ce n’est ni un tireur embusqué, ni un membre du Hezbollah. Sa femme ne porte même pas le voile. Toutes ces accusations sont des mensonges. Notre demande n’est pas politique. Il s’agit d’une question humanitaire », a déclaré Abou Ali al-Mokdad. Le Hezbollah a également démenti que Hassan était l’un de ses membres.
Dans une interview avec Al-Mayadine, il a par ailleurs menacé d’avoir recours à « des actions supplémentaires si Hassan n’est pas libéré. Tous les Syriens du Liban sont des cibles légitimes », a-t-il dit.
Dans une déclaration télévisée, un membre de la « branche armée » du clan Mokdad a également assuré que son groupe détient une « large base de données comportant des noms importants de nouvelles cibles au Liban et dans la région ». « Nous avons les noms de toutes les personnes impliquées dans l’enlèvement de Hassan, ainsi que ceux qui hébergent des combattants de l’ASL que ce soit à Aley, à Tripoli ou à l’Iklim al-Kharroub », a encore dit l’homme dont le visage était dissimulé par une cagoule.
Dans l’après-midi, la « branche armée » de la famille Mokdad a par ailleurs affirmé avoir capturé un ressortissant turc à Beyrouth. « Il était ici pour affaires, il est arrivé aujourd’hui et a été enlevé à proximité de l’aéroport », a précisé un diplomate au Liban à Reuters.
Le ministre libanais des Affaires étrangères, Adnane Mansour, a appelé les Mokdad à libérer le ressortissant turc, mais ces derniers ont affirmé qu’« aucune force sur Terre ne pourra le libérer tant que Hassan n’est pas rentré au Liban ».
Hatem al-Mokdad, l’un des frères de l’homme enlevé à Damas a par ailleurs confirmé à Reuters la présence d’un ressortissant saoudien parmi les personnes kidnappées par le clan libanais.
La chaîne libanaise LBC a annoncé que les mesures sécuritaires ont été renforcées aux alentours de l’ambassade de Turquie, du Qatar et de l’ambassade d’Arabie Saoudite au Liban qui avaient appelé leurs ressortissants à quitter immédiatement le Liban.
La palme d’or dans ce bras de fer entre pro et anti-syriens libanais a été décernée au Qatar qui a menacé d’expulser tous les Libanais de son territoire si jamais un Qatari est enlevé au Liban.
Dans un communiqué, le premier ministre libanais, Nagib Mikati, qui se trouvait à La Mecque pour représenter le Liban au sommet extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique, aux ordres du royaume wahhabite, a condamné les enlèvements, jugeant qu’ils rappelaient la guerre civile qui a divisé le pays entre 1975 et 1990. « Ce n’est pas la bonne manière de résoudre l’enlèvement d’un ressortissant libanais en Syrie », a-t-il déclaré.
Il faut rappeler que les onze pèlerins libanais avaient été enlevés le 22 mai dernier dans la région d’Alep, alors qu’ils rentraient en bus au Liban après un pèlerinage en Iran. Un groupe jusqu’alors inconnu, les « Révolutionnaires de Syrie-Province d’Alep », a revendiqué fin mai ce rapt.
Le 7 août, le porte-parole des familles des pèlerins, cheikh Abbas Zougheib, a accusé Ankara de protéger les ravisseurs des pèlerins chiites en Syrie, et menacé de kidnapper des ressortissants turcs à Beyrouth.
Pour avoir dérogé à la règle de non ingérence dans les affaires internes syriennes, le Liban risque d’imploser. Dans cette guerre civile, à laquelle poussent les Occidentaux et les monarchies du Golfe, il n’est pas sûr que ce soit le camp anti-syrien qui va l’emporter. Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours avant de l’avoir abattu.