Le père Elias Zahlaoui est un prêtre catholique syrien qui officie à Damas, capitale multimillénaire de la Syrie aujourd’hui martyrisée et qui résiste héroïquement à l’agression conduite par une cohorte de pays occidentaux qui ont juré de la renvoyer à l’âge de pierre. C’est un homme courageux, révolté et indigné par l’hypocrisie criminelle et le cynisme de la mal nommée communauté internationale et aussi de la hiérarchie ecclésiastique catholique qui trahit le message du Christ. Pour lui, « l’Occident est pourri. Pourri par son histoire passée, pourri par son antisémitisme, qui n’a rien à voir avec les Évangiles ni le Christ, et pourri aussi par sa passion de domination du monde. »
Dans sa dernière lettre ouverte au Pape François, qui brille par son silence face à l’agression dont est victime le peuple syrien, – et ceci contrairement aux positions courageuses du Pape Jean-Paul II qui a avait prononcé en 1990-91- pas moins de 57 discours pour dénoncer la guerre d’agression contre l’Irak, le Père Zahlaoui accuse sans ambiguïté les actuelles autorités hiérarchiques du Vatican de complicité vis-à-vis de l’agression qui vise la Syrie. Elles « font preuve d’une triste et systématique absence de prise de position vis-à-vis de la politique désastreuse et déclarée, de certaines Puissances mondiales, les États-Unis en tête, et de leurs valets européens et arabes, contre le Monde Arabe ». Nous publions intégralement la dernière lettre ouverte qu’il vient d’adresser au Pape François à un mois de la célébration des fêtes de Pâques.
Sainteté,
Dans deux jours, commence la dixième année de la guerre cosmique contre la Syrie, ma patrie.
Je voudrais en ce jour du 13/3/2020, vous poser, à vous personnellement, ainsi qu’à toute l’Église Catholique, où qu’elle soit, une question, une seule, aussi simple que capitale. La voici :
Croyez-vous toujours à la SURVIE de Jésus-Christ dans le monde arabe ?
Je me hâte de préciser que les généralités de toutes sortes, que vous ne cessez de dire et de redire, ou celles que vous faites dire à vos représentants, au niveau des Instances Internationales, sont loin de le laisser croire.
J’en prends à témoin TOUT ce que reproduit à ce propos, l’organe officiel du Vatican,
l’Osservatore Romano, sous des titres parfois évocateurs, voire percutants. Tous ces textes sans
exception, font preuve d’une triste et systématique absence de prise de position vis-à-vis de la
politique désastreuse et déclarée, de certaines Puissances mondiales, les États-Unis en tête, et de
leurs valets européens et arabes, contre le Monde Arabe.
Pourtant cette politique d’hégémonie à outrance, qui ose ignorer qu’elle se fait depuis des
décades, au défi de toute légitimité, tant internationale que régionale, ainsi que de toute morale, tant humaine que religieuse?
Quant aux prix de ce déchaînement de catastrophes consécutifs, contre le Monde Arabe, j’ai le regret de dire qu’en l’absence de la moindre condamnation prononcée par l’Église, j’en laisse, avec tous les opprimés de ce monde, à Dieu seul, le soin d’en juger les fauteurs et leurs compères.
En effet, l’Église, ʺColonne de Véritéʺ selon Saint Paul, et Représentante de Jésus-Christ, se
révèle incapable d’adresser le moindre reproche à ces malheureux ʺPuissantsʺ, qui s’érigent en
véritables destructeurs de l’Œuvre de Dieu, y compris l’effacement du Christianisme dans le Monde Arabe.
Sainteté,
Je sais que ce que j’avance, en tant que prêtre catholique, est plus que grave. Mais je tiens à le redire, preuves à l’appui.
Qu’il me suffise d’abord de rappeler votre traditionnel message de paix, pour l’année nouvelle 2020, ainsi que votre discours officiel, lors de votre visite aux Émirats Arabes Unis, du 3 au 5 février 2019.
Cependant, je tiens à aller plus loin.
Il est en effet deux faits accablants, que je ne puis passer sous silence, d’autant plus qu’ils
concernent tous deux la Syrie.
Le premier – j’y reviens sans cesse – est celui de votre première visite, fin septembre 2015, aux
États-Unis. Vous vous trouviez alors au cœur même de cet Empire qui prône ouvertement la
destruction de tout opposant, dont la Syrie, à sa politique démoniaque, menée toujours au nom de « la Liberté, de la Démocratie et des Droits de l’homme ». Or devant les principaux représentants de cet Empire, tant civils que religieux, ainsi que devant l’Assemblée Générale des Nations-Unies, vous avez prononcé quatre discours, que j’ai tenu à lire et relire, cinq fois, pour ne pas me laisser saisir par une impression ponctuelle. Hélas, je n’y ai trouvé que des mots de félicitation, de gratitude, outre des invitations générales à plus de liberté religieuse et de respect pour la Nature et l’environnement.
Pour le Représentant de Jésus-Christ, Celui-là même qui est mort sur la Croix, par amour pour une humanité plus que jamais méprisée, écrasée, affamée, décimée, c’est triste et inquiétant!
Le second fait concerne la démarche proprement politique, que couvrait, sous les fameux prétextes humanitaires, la lettre que vous avez adressée à notre Président, par l’entremise du Cardinal Peter TURKSON, en date du 28 juin 2019.
En effet, je ne puis croire que vous ignoriez jusqu’à ce jour, que la Communauté Internationale au nom de laquelle vous parlez, et sur la politique de laquelle vous vous alignez régulièrement, n’est rien d’autre que l’Empire Américain. Ignoriez-vous aussi que des milliards d’êtres humains, laissés pour-compte à travers le monde, et avec lesquels Jésus-Christ s’est littéralement identifié, essaient de lutter contre cette Communauté même, pour s’assurer un minimum de vie, dans la justice et la dignité ?
Or, de cette lutte universelle pour la survie, la Syrie, son Président en tête, offre un exemple unique, face à une guerre absolument injuste, et à un embargo total, que rien ne justifie.
Sainteté,
Laissez-moi, pour finir, vous exprimer ma réaction de prêtre syrien, à votre offrande des 6000 rosaires au peuple syrien, en date du 15/8/2019.
Il va de soi que la prière est de première nécessité pour l’homme, et surtout pour l’homme contemporain.
Mais croyez-vous vraiment que cette façon de faire, ainsi que vos appels continuels à la prière en faveur de la paix, en Syrie et partout, suffisent-ils à pallier à votre totale et incompréhensible absence de prise de position, vis-à-vis des bourreaux déclarés de l’Humanité?
N’est-il pas temps pour l’Église Catholique de rompre une fois pour toutes, avec la politique de l’Empire Américain, afin de renouer pour de bon avec le Royaume de Dieu ? Les chrétiens du monde, et pas seulement de Syrie, feraient bien de prier pour une totale conversion de l’Église.
Une visite en cette Syrie crucifiée, berceau du Christianisme, n’en serait-elle pas le commencement tant attendu ?
Sainteté,
Veuillez voir dans ce souhait, non seulement l’espoir d’un prêtre de Syrie, mais aussi celui des multitudes crucifiées à travers le monde.
Je vous dis mon affection et mon respect.
Pr. Elias Zahlaoui – Damas, le 13/3/2020