« Ce favoritisme médiatique en votre faveur s’explique parfaitement, je le répète et je vous l’accorde : vous (Finkielkraut) faites partie du Système – germanopratin de souche – du copinage, du renvoi d’ascenseur, du cirage de pompes. Moi pas. Je suis d’un tout autre bord idéologique que les néo-conservateurs (les neocons), les petites ordures comme Anders Breivik Behring, les islamophobes, les réactionnaires, les identitaires d’extrême droite, les “marinistes”. »
Monsieur,
Vous le savez : nous sommes adversaires, le 10 avril 2014, à l’Académie française.
Vous le « philosophe », moi « l’inconnu »…
Philosophe ?… Que croyez-vous, au juste, Monsieur Finkielkraut ? Croiriez-vous donc être la fine crème de la pensée ? Certes, chacun est libre de ses illusions ! Vous êtes libre des vôtres. Mais vraiment, au fond de vous, est-ce que vous vous croyez – sincèrement – philosophe ?…
En quoi, tout d’abord, votre agrégation de Lettres (modernes…) vous donne-t-elle le droit – ou l’audace – de vous déclarer tel ?
On reproche à certaines personnes, qui affirment être historiens, d’avoir des diplômes de Lettres. Mais s’il est interdit à des diplômés ès Lettres de se dire historiens, en quoi vous est-il consenti, à vous, de vous dire « philosophe » et de permettre, au premier laquais venu, de vous définir comme « philosophe » ? Je n’ai vu aucun article intitulé : « L’agrégé de Lettres modernes Alain Finkielkraut candidat à l’Académie française ». J’en ai vu des tonnes qui avaient pour titre, obséquieusement : « Le philosophe Alain Finkielkraut candidat à l’Académie française ». Cela ne vous gêne donc point ?
Nietzsche était philosophe, Heidegger était philosophe. Et puis, Monsieur Finkielkraut serait philosophe à leur suite ? À moins qu’il ne les précède ? De la même façon, Mozart était musicien, Vivaldi était musicien, Bach était musicien, et puis Claude François était musicien ? Et Parménide, qui n’avait pas d’agrégation de Lettres modernes, était-il réellement tout autant philosophe que l’agrégé de Lettres modernes Finkielkraut ?
Votre mère, M. Finkielkraut, est aujourd’hui presque centenaire, et je m’en félicite pour vous et pour elle-même. La mienne est morte à un peu plus de soixante ans. Elle possédait des diplômes que je préfère ne pas énumérer et ne pas comparer aux vôtres – par pure charité chrétienne à votre égard. Je me borne à constater que ma mère n’a jamais songé à se prétendre « philosophe ». Si ma mère possédait un doctorat de philosophie, contrairement à vous, comment se fait-il qu’elle n’ait jamais envisagé de se dire « philosophe » ? En 1974, par exemple, ma mère enseignait depuis une dizaine d’années à l’Université française, tandis que vous dispensiez votre savoir (dont je ne nie pas qu’il dût déjà être immense) dans une école technique de Beauvais. D’où vous vient tant d’humilité, alors, M. Finkielkraut ? D’où vous vient tant de sagesse, Monsieur le philo-sophe ?
Sachez ce qui suit, M. Finkielkraut, pour commencer : je ne fais pas partie de l’espèce de ceux à qui vous vous jugez en droit, semble-t-il, de jeter d’impérieux « Taisez-vous ! »… Moi je parle si je veux et quand je veux, M. Finkielkraut. Je suis citoyen français autant que vous, et je ne suis ni votre élève, ni votre colonisé. Si vous aimez donner des leçons, moi je choisis mes maîtres, et j’estime par la même occasion ne pas avoir de leçons à recevoir de vous. Vous vous imaginez peut-être sorti de la cuisse de Jupiter, ou, plus probablement, de tout autre dieu de votre choix. Sachez, alors, que moi, Robert Spitzhacke, j’ai collaboré à des journaux tout aussi prestigieux que ceux qui vous ouvrent si volontiers leurs colonnes. J’y ai publié des articles littéraires et philosophiques que j’estime tout aussi intéressants que les vôtres. J’ai vu mon nom à côté de ceux des plus grands intellectuels ou écrivains français, à la « une » de revues littéraires et intellectuelles prestigieuses.
Je serais très volontiers disponible, M. Finkielkraut, pour débattre avec vous de tout sujet de votre choix. Chiche ? Vous débattez avec BHL, vous débattez avec M. Cohn-Bendit, vous débattez avec Madame Elisabeth Lévy, vous débattez avec je ne sais qui encore. Ne voudriez-vous pas débattre avec Robert Spitzhacke ? Quels sont donc les critères – j’ignore s’il y en a – pour avoir le « droit » de débattre avec vous ?
J’en viens aux livres, tiens !… Aux vôtres, et aux miens. Je ne sais pas combien de livres vous avez publiés, Monsieur Finkielkraut. D’ailleurs, ce n’est pas le nombre d’ouvrages d’une bibliographie qui constitue une œuvre. Mais voyez-vous, M. Finkielkraut, je ne crois certes pas avoir publié moins de livres que vous !…
Vous avez publié chez de plus « grands » éditeurs que moi, M. Finkielkraut ? Je veux bien vous croire là-dessus. Vous étiez « maoïste » en 1968, on vous dit « réac » aujourd’hui. Et cela, naturellement, en restant fidèle à vous-même et à ce que vous êtes, au plus profond de vous. De quelque façon que le vent tourne, les intellectuels de votre espèce sont toujours vainqueurs…
Moi je n’ai pas vos moyens, M. Finkielkraut. Je n’ai pas vos appuis, surtout. Je ne suis ni une girouette, ni un « garçon dans le vent ». Mais j’ai publié dans des revues françaises (ou étrangères) tout aussi importantes que celles qui vous accueillent. J’ai également publié autant, si pas davantage de livres que vous. La seule différence entre vous et moi, de ce point de vue, c’est que je ne suis pas invité à la radio ou à la télé (et pour cause…) tous les trois jours. Et que je n’ai pas non plus à ma disposition des chiées de journaleux obséquieux, avides de passer de la pommade à Monsieur l’agrégé de Lettres modernes… pardon, à Monsieur le Philosophe.
Le livre de moi qui s’est le mieux écoulé s’est vendu à cinq mille exemplaires. C’était un ouvrage d’histoire littéraire. Vous connaissez suffisamment le milieu de l’édition parisienne, M. Finkielkraut, pour savoir que ce n’est pas mal. D’autant plus que j’ai publié dans des maisons d’édition qui n’avaient pas les moyens financiers de dépenser autant de fric, pour la publicité, que les vôtres. À propos, vous avez vendu combien de vos livres à 5 000 exemplaires, M. Finkielkraut ? Lesquels ?
Vous me permettrez de vous dire tout cela, également, parce que je suis un peu votre aîné à l’Académie, ne vous en déplaise, dans la mesure où l’on y a déjà voté pour moi – ce qui n’est pas votre cas. Jusqu’au 10 avril 2014, M. Finkielkraut, en effet, est-ce que l’Académie a déjà voté pour vous ? Non. Jusqu’au 10 avril 2014, vous n’avez jamais reçu de voix à l’Académie. C’est ainsi. Vous allez sûrement en recevoir plus que moi, des voix, le 10 avril, M. Finkielkraut. Cela, oui. Dans le monde d’aujourd’hui, qui est votre monde et pas le mien, ce ne sera que « logique ». Mais jusqu’au 10 avril 2014, M. Finkielkraut, on a déjà voté pour moi à l’Académie française. Et jamais pour vous. Encore un peu de patience, M. Finkielkraut !
Voilà, il est temps de conclure. J’affirme que jusqu’à aujourd’hui, j’ai reçu à l’Académie française ce que vous n’y avez pas encore reçu : une voix. J’affirme que j’ai certainement publié autant de livres que vous, si pas davantage. J’affirme que j’ai collaboré à des revues aussi prestigieuses que celles auxquelles vous élargissez si libéralement vos doctissimes entretiens. J’affirme que je ne suis certes pas passé à la télévision aussi souvent que vous (et pour cause…), mais que j’ai néanmoins participé à un grand nombre d’émissions, par exemple à une émission-culte qui m’a valu une réputation durable et une indéniable célébrité. Je ne crois pas savoir qu’aucune des émissions auxquelles vous avez été invité ait jamais eu, en termes d’audience et d’écho, une pareille notoriété. Je ne suis donc pas moins connu que vous. Oui, vous avez de plus grands éditeurs que moi. Oui, vous faites partie des « élites » médiatiques, les pauvrettes élites !… Oui, vous avez davantage de soutiens que moi. Mais je ne suis certes pas un « inconnu » et il m’arrive également, même si c’est moins souvent (et pour cause…) que vous, de faire la « une » de grands journaux français.
Je crois donc être tout, sauf un « inconnu ». Voilà ce que j’affirme. Qu’y puis-je si la plupart des journalistes français, à l’exception de quelques-uns d’entre eux (souvent des jeunes gens, et souvent des femmes), n’ont causé presque QUE de vous, M. Finkielkraut, pour cette élection académique du 10 avril 2014 au fauteuil de M. Félicien Marceau (je dis « causé » par référence au journal « Causeur » de votre amie Madame Elisabeth Lévy) ? Qu’y puis-je ? Ce favoritisme médiatique en votre faveur s’explique parfaitement, je le répète et je vous l’accorde : vous faites partie du Système – germanopratin de souche – du copinage, du renvoi d’ascenseur, du cirage de pompes. Moi pas.
C’est une intox de ce genre que, probablement, vos partisans mettent en œuvre en prétendant qu’il y aurait à l’Académie française une « cabale » contre vous. Cela vous permet, le procédé est bien connu et il est éculé, de vous victimiser. Mais combien de temps de tels procédés vont-ils encore abuser les gens, M. Finkielkraut ?
Moi, je ne suis pas dans le Système. Je ne fais pas non plus partie des politiciens et des politiciennes « anti-Système » professionnels qui ont besoin du Système pour exister.
Moi, Robert Spitzhacke, je ne suis ni un « petit blanc » ni un « bobo ». Je suis anticolonialiste, je suis opposé à tous les colonialismes. Je suis pro-palestinien. Je ne suis pas un « Français de souche », j’ignore le sens de cette expression (que je trouve idiote). Je ne suis pas né Français. Pas plus que vous, d’ailleurs, M. Finkielkraut. Vous avez reçu la citoyenneté française à un an, moi à quatorze. J’ignore dès lors, pour ma part, d’où vous tirez vos lumières, ou qui vous a semble-t-il autorisé à parler au nom de ce que vous appelez les « Français de souche ». Je ne sais pas ce que vous êtes, de souche, M. Finkielkraut. Peut-être êtes-vous un « philosophe de souche » ? Pardon, un agrégé de Lettres modernes de souche ?… Nous ne partageons pas les mêmes idées, vous et moi. Nous ne partageons pas la même souche, si j’ose m’exprimer ainsi. J’espère que vous m’y autoriserez. Et si vous ne m’y autorisez pas, moi je me le permets. Je suis d’un tout autre bord idéologique que les néo-conservateurs (les neocons), les petites ordures comme Anders Breivik Behring, les islamophobes, les réactionnaires, les identitaires d’extrême droite, les « marinistes ».
Je n’ai jamais rien eu, et je n’ai absolument rien à voir non plus avec cette droite ou cette gauche qui, de nos jours, en France, me semblent si pathétiquement semblables l’une à l’autre. Je n’ai rien, absolument rien à voir avec votre « philosophie », cher M. Alain Finkielkraut. Et pas davantage (s’il était toutefois nécessaire de le préciser) avec votre collègue BHL, l’éminent spécialiste de « Botul ». Je ne désire rien avoir non plus en commun avec les Nabe, les Houellebecq, les Renaud Camus, les Richard Millet et autres…
Peu m’importe ce que l’on dit sur moi aujourd’hui. Peu importe ce que l’on dira demain. Je suis moi-même. Un écrivain. Je ne suis pas un écrivain « bobo citoyen du monde », je ne suis pas un écrivain « petit blanc » ou, comme vous dites, « Français de souche ». Je suis un écrivain européen, je suis un intellectuel indépendant.
Quant à vous, M. Finkielkraut, on empile vos livres dans les vitrines des librairies et vous les soumettez donc au goût du public. Nul n’est encore obligé, dans la France d’aujourd’hui, d’aduler votre génie. Et mon goût fait que je vois en vous, M. Finkielkraut, un Spinoza à l’usage des concierges, des piliers de bistrot ou des caissières de supermarché. Je prie les concierges, les piliers de bistrot et les caissières de supermarché de bien vouloir ne point s’offenser. J’ai de la sympathie pour tous et toutes.
Simplement, je suis tout aussi philosophe que vous, M. Finkielkraut.
Et je dédie toute voix – que je serais susceptible de recevoir, le 10 avril 2014, à l’Académie française, de la part d’académiciens courageux – à ceux qui n’ont pas de voix pour les défendre. Je parle des malheureux et héroïques petits enfants palestiniens de Gaza, Palestiniens de souche ou, si vous préférez, Amalécites de souche. Puisse-t-il être dit par quelqu’un, aujourd’hui ou demain, qu’un candidat à l’Académie française aura désiré l’être pour les enfants de Gaza.
Source : Blog de Robert Spitzhacke, candidat à l’Académie française
https://robertspitzhacke.wordpress.com/2014/04/08/lettre-ouverte-a-alain-finkielkraut-par-robert-spitzhacke-8-avril-2014/