De Tanzanie et surtout du Mozambique nous parviennent chaque jour des informations sur de nouvelles découvertes de gaz. La dernière effectuée au Mozambique, de l’italienne Eni, fait état de réserves qui représentent quelque chose comme le total de l’énergie consommée pendant trois années par les quatre pays les plus industrialisés de l’Europe : l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie.
La découverte d’Eni s’ajoute à d’autres, notamment celles de Shell, Anadarko et Halliburton. Mais tout le monde est là-bas me direz-vous ! Et moi je me pose la question : sommes-nous bénis ou maudits ?
Au Pérou, au Nigeria, au Soudan, en République démocratique du Congo (RDC), en Guinée Équatoriale, à São Tomé, au Timor Oriental et, pourquoi ne pas le dire, en Irak et en Libye, les réserves de pétrole et de gaz ont-elles été des bénédictions ou des malédictions pour les peuples ? L’abondance de ressources minières, on le sait, est à l’origine de la résistance du dernier bastion du colonialisme et du racisme blanc en l’Afrique australe. Aubaine ou malheur ?
Le Mozambique est en passe de devenir un eldorado minier : charbon, fer, or, phosphates ; nommez-les, il y en a. Rio Tinto, Vale do Rio Doce, Mittal, Tata, Coal India, Jintal, bien des transnationales sont à l’œuvre. Mais la société civile, les intellectuels, les gens simples questionnent les bienfaits de cette aubaine. Plusieurs questions se font jour depuis le début de l’extraction du charbon, puisqu’elle se fait à ciel ouvert, mais également pour le gaz en offshore.
Dans le premier cas, le charbon, il y a, à moyen et long terme, des menaces sérieuses sur l’environnement. Rarement les industries minières parviennent à reboucher les énormes cratères de centaines de mètres de profondeur et même de kilomètres de largeur ; les cours d’eau sont pollués, la flore originale est menacée de disparition. Par ailleurs les poussières des explosions, ainsi que l’action des gigantesques machines à creuser, se répandent dans l’atmosphère. La ville de Tete, capitale de la province mozambicaine du charbon, souffre déjà ces phénomènes.
Il faut aussi tenir compte des effets sur la vie des gens. Des pêcheurs seront certainement touchés : les plate-formes et les bancs de poissons ne se marient pas tout à fait. Certes, sur la côte, des hôtels, restaurants et autres lieux de loisir vont éclore, peut-être aussi que l’exploitation attirera les amateurs de la plus ancienne profession au monde. Mais tout cela en vaudra-t-il la peine ?
L’extraction du charbon et d’autres ressources du sous-sol entraîne le déplacement des populations. Quels avantages les habitants tirent-ils de ce remue-ménage ? Une nouvelle maison, lorsqu’ils en avaient déjà une ? Or, les industries gagnent des milliards de dollars avec l’exploitation des sites miniers. Est-ce la traduction pratique de « l’échange inégal » ?
Pendant des décennies on s’est battu pour que les ressources naturelles soient transformées dans le pays producteur. Dans le but évident de créer de la plus-value locale, des emplois de plus en plus qualifiés, l’acquisition de connaissances et de savoir-faire, etc. En fait, tout cela ne se produit pas, y compris parce que les pays producteurs ont une main-d’œuvre très peu qualifiée pour répondre aux exigences de ces industries, et les jeunes diplômés manquent de l’expérience nécessaire.
Par ailleurs, ces entreprises ont déjà leur propre main-d’œuvre, ont contracté depuis des années leurs fournisseurs et ne font pas d’efforts notables pour se ravitailler sur place ou favoriser l’essor de services dans le pays où ils opèrent. La brésilienne Vale ou l’australienne Rio Tinto, par exemple, achètent les tomates, les pommes de terre, etc., en Afrique du Sud. Sachant que 4 000 km séparent l’Afrique du Sud de Moatize où se trouvent les mines, il faut convenir que ce n’est pas la volonté d’épargner qui domine. Il y a lieu de soupçonner que le jeu des commissions et des dessous-de-table a aussi cours chez les employés étrangers des transnationales. Des conflits peuvent éclore si cet état de choses perdure. On l’a déjà vu au Nigeria ou les gangs à la Robin des bois mènent une sorte de redistribution de richesses.
Au Mozambique, la législation est en train d’être revue de façon à servir les intérêts du pays. Le président Guebuza, dont le deuxième et dernier mandat s’achève en 2014, s’est référé maintes fois en public à ce problème. L’Assemblée nationale a déjà été saisie de propositions de loi pertinentes.
Nos pays sont faibles, ils ont besoin d’investissements pour améliorer la vie des gens, mais peu de cadres expérimentés sont appelés à négocier avec ces multinationales. Les institutions de Bretton Woods sont davantage au service du capital que des peuples et exercent donc des pressions. Parfois, les ambassades s’en mêlent, j’en ai témoigné. Depuis l’époque de la Grèce antique, on dit que les villes ne résistent pas à un âne chargé d’argent. Il faut reconnaître que nos élites se soumettent parfois, ou même souvent, à cet âne.
La lutte continue, dit-on ici. Et c’est bien vrai.