Dans le temps chez les Kouya, people de la forêt tropicale à la lisière de la savane au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, les masque sacrés faisaient irruption dans la place du village à chaque pleine lune. Entitées surnaturelles communiquant la voie des ancêtres, ils étaient les symbole et le pivot de la spiritualité de la communauté.
Ces rituels accompagnés par chants, danses et instruments de musiques se sont rarifiés à cause des changements des années ‘60 qui ont profondement affecté les moeurs des Kouya.
La deforestation avec les mutations environnementales peu propices à l’entretien du sacré, l’exode des adultes qui jouaient un rôle important dans la liturgie et l’arrivée des missionnaires farouchement opposés aux coutumes animists ont bouleversé les traditions de cette société agraire, dont les membres ont vécu pendant des siècles de la chasse et des cultures du riz, du taro et de la banane.
Universitaire à Neuchâtel, en Suisse, et titulaire d’un master en ethnologie-archéologie-histoire, Denis Ramseyer, s’est rendu à plusieurs reprises chez les Kouya, entre 1967 et 2016.
Presque cinquante ans d’études et de proximité, qui sont à la base de l’ouvrage Les Kouya de la Côte d’Ivoire, un peuple forestier oublié, coédité par le Musée Barbier-Mueller de Genève et la maison lausannoise Ides et Calendes (150 pages + 150 illustrations couleur, 29 euros).
Cette période complexe et cruciale de transformations est documentée par l’auteur avec richesse de références historiques et culturelles.
Le cadre conceptuel échappe à la dichotomie tradition/modernité, ce qui fait l’intérêt et l’originalté de l’oeuvre : Ramseyer dessine le portrait d’un peuple considéré en voie de disparition dans ses elements fondateurs et pourtant suffisemment dynamique et créateur pour s’adapter aux évéments extérieurs sans perdre l’âme.
La mutation des conditions climatiques, la colonisation et l’arrivée des immigrés Mossi, Bété et Dioula dans les années 1970 ont déterminé le passage au commerce du cacao et du café, qui a remplacé une économie de subsistence de type familiale, et provoqué les modifications architecturales de l’habitat et l’évanescence des croyances.
Néanmoins, “Le respect de la tradition de l’héritage culturel et des techniques anciennes perdure”, écrit l’auteur en soulignant que les Kouya gardent leur langue et les classes d’âge, sous-basement de l’organisation sociale.
Les cérémonies des masques n’ont pas complètement disparu car les Kouya y ont fait recours souvent pendant la guerre civile de 2002-2011. Les rituels auraient dû éloigner les esprits malfaisants, éviter les tueries inter-communautaires et ramener la paix.
Signe d’un imaginaire profondément ancré dans l’au-delà et de l’immanence du sacré qui ne se dissolvent pas depuis l’entrée des Kouya dans le monde moderne…
Luigi Elongui