Faut-il s’en étonner ? On retrouve, dans le dernier livre de Pascal Boniface*, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques, bon nombre d’intellectuels intègres qui ont déjà honoré de leurs signatures ou de leur présence les pages d’Afrique Asie… Jean Ziegler, Tzvetan Todorov, Rony Brauman, Régis Debray… Sans compter ceux dont l’œuvre a interpellé les rédacteurs du journal : Stéphane Hessel, Emmanuel Todd, Esther Benbassa… Pas étonnant, puisque Pascal Boniface mène peu ou prou le même combat : la dénonciation d’un discours dominant et d’une pensée unique, aujourd’hui appelée « mainstream », par d’autoproclamés « intellectuels » médiatiques. Ceux-là mêmes qui relaient et imposent le point de vue d’une même caste médiatico-économique puissante en falsifiant la réalité derrière un art indéniable de l’éloquence.
Pascal Boniface avait d’ailleurs fustigé ces « intellectuels faussaires », dans un livre précédent du même nom (Éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2011). Le pamphlet, refusé par quatorze éditeurs et boudé par la « grande » presse, avait été une des meilleures ventes de l’année dans sa catégorie. « Intellectuels » était d’ailleurs un terme qui faisait trop d’honneur à ces faussaires… En accord avec son éditeur, Boniface a donc eu envie, cette fois-ci, de parler des vrais intellectuels, c’est-à-dire de ceux qui construisent une œuvre patiemment, tout en s’exprimant sur des sujets sensibles quand ils pensent que leurs connaissances apportent de la clarté dans des débats manipulés par les faussaires.
Contrairement à ce que l’on pense, il existe beaucoup d’intellectuels intègres. Le directeur de l’Iris a donc dû faire des choix, chagriné d’exclure de sa sélection la grande majorité – mais il les cite dans son introduction. Les quinze qu’il a retenus se sont exprimés sur les relations internationales et ont manifesté un engagement citoyen quand la cause qu’il défendait avait besoin d’eux. Il a aussi écarté « les experts en questions stratégiques », des collègues et parfois amis – on ne pourra pas le taxer de connivence. Figurent donc dans son ouvrage, outre les personnes que l’on a déjà citées, Jean Baubérot, Alfred Grosser, Olivier Mongin, Edgar Morin, Jean-Christophe Victor, Michel Wieviorka, Catherine Wihtol de Wenden, Dominique Wolton. Pascal Boniface, qui tutoie la plupart, n’est pas toujours d’accord avec eux, mais il admire et respecte leurs prises de position dans le débat public, à chaque fois argumentées par une recherche de longue haleine. En particulier sur des thèmes chers à l’auteur : le problème israélo-palestinien, la stigmatisation des musulmans, les migrations internationales, le rejet de l’Autre, la prééminence du tout-médiatique…
Après avoir brossé en quelques pages leur itinéraire, il a posé à tous le même type de questions : quel est le rôle de l’intellectuel dans la société ? La justesse d’un combat justifie-t-elle le mensonge ? Comment concilier le travail de l’intellectuel et l’engagement ? Faut-il accepter de courir les médias pour transmettre son message ? Comment rester intègres dans un monde où dominent le faux et la facticité des rapports individuels et sociaux ?
Pascal Boniface interroge en candide et laisse filer la discussion sur des questions faciles seulement en apparence. Chacun apporte bien sûr sa propre réponse en fonction de ses convictions, mais, au final, on distingue peu ou pas de différence fondamentale sur les principes. La fraîcheur et la spontanéité de ces intellectuels intègres, en même temps que l’acuité de leurs réponses, réjouissent. Ils ne cessent de douter et de questionner leur objet d’études, mais n’ont jamais hésité à s’engager, y compris au prix de leur ostracisme, voire de l’injure publique. Les lecteurs se surprendront à vouloir rencontrer d’aussi belles personnes.
Les Intellectuels intègres, Pascal Boniface, Éd. Jean-Claude Gawsewitch, 416 p., 21,90 euros.