« Je suis capable du meilleur et du pire. Mais, dans le pire, c’est moi le meilleur (Coluche). Il en va des colloques et des ouvrages portant sur des thèmes d’actualité internationale comme du reste. On y trouve souvent le pire, rarement le meilleur dans cette société de surinformation, voire de désinformation, de post-vérité et de « fake news ». La problématique du développement du terrorisme en relation avec celle du wahhabisme en fournit un exemple éclairant au pays de l’obscurantisme. La littérature spécialisée, qui y est consacrée, évolue entre travaux de sachants incompréhensibles pour le commun des mortels et travaux d’experts en questions générales (les fameux « toutologues ») qui, au mieux, enfoncent des portes ouvertes, au pire racontent n’importe quoi avec une docte assurance sans évoquer le cas de ceux qui écrivent ce que leurs sponsors leur intiment l’ordre d’écrire. Le juste milieu est toujours mal aisé à trouver. Pour une fois, nous l’avons découvert grâce à un ouvrage collectif (douze contributeurs) publié sous le patronage du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (Cf2R) d’Éric Denécé1.
L’approche méthodologique retenue (du général au particulier) nous parait particulièrement séduisante pour la compréhension d’une problématique tout aussi complexe dans sa mise en œuvre que simple dans son objectif. Elle part d’un constat objectif portant sur « un régime fondé sur une idéologie archaïque et sectaire » (l’Arabie saoudite) pour poursuivre sur « la diffusion du fondamentalisme et de la haine » ainsi que sur « l’exportation du terrorisme et de la guerre » pour conclure sur un épilogue particulièrement pertinent intitulé : « Tout changer pour que rien ne change ». À titre d’exemple, mais il n’est pas le seul dans cet ouvrage de recensement des actes d’un colloque, l’article particulièrement documenté et instructif de Laurence Aïda-Amour consacré au « Wahhabisme en Afrique des années 40 à aujourd’hui » qui démontre, exemples concrets à l’appui comment l’Arabie saoudite a profité des faiblesses de tous ces pays fragiles pour tisser sa toile et devenir incontournable dans la région. Au passage, ce pays a semé les graines de la discorde et du terrorisme que la France tente de combattre militairement (opération « Barkhane ») relativement seule. L’ouvrage se lit comme un véritable roman policier ou comme une enquête judiciaire accumulant les « indices graves et concordants » d’une implication du régime saoudien dans le développement du fondamentalisme et du terrorisme aux quatre coins du monde. Une conclusion logique s’impose : que faisons-nous, hormis adopter une posture faite de mots, pour traiter les maux alors que le bon diagnostic est porté depuis plusieurs décennies ? Pour ne pas déflorer le sujet et laisser au lecteur le soin de se forger sa propre opinion, nous ne retiendrons que la formule conclusive de l’ouvrage d’Éric Denécé qui en dit plus qu’un long discours :
« Sans un changement majeur de notre politique intérieure, à l’égard des mouvements prônant un islam radical, et, de notre politique étrangère, vis-à-vis de ceux qui les soutiennent, il n’y aura aucune évolution possible. Il est indispensable que nous mettions un terme à nos contradictions et à la corruption d’une partie de nos élites par les pétrodollars ».
Que dire de plus si ce n’est que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément comme nous l’enseignait Nicolas Boileau !
Souvenons-nous de ce qui en avait coûté à notre ambassadeur en Arabie saoudite de 1991 à 1994, arabisant distingué qui avait été remercié tel un valet après la visite du premier ministre, un certain Édouard Balladur qui estimait que l’accueil que lui avait réservé la monarchie saoudienne était indigne de lui et, qui plus est, ne lui avait pas donné gain de cause dans une affaire de vente de matériels militaires ? L’ambassadeur fut prestement exilé au bout de la planète en plein Pacifique pour expier ses nombreux pêchés anti-Ballamou et celui, encore plus grave, de lèse-Arabie séoudite. Il réagira sainement en publiant, sous pseudonyme, un ouvrage de souvenirs particulièrement bien documentés de son séjour à Riyad intitulé : « Arabie séoudite. La dictature protégée »2. Un ouvrage où tout était dit, c’était il y a plus de vingt ans déjà. Pour la petite histoire, cet ouvrage a rapidement été épuisé dans les librairies parisiennes, essentiellement parce que les séides de l’ambassade d’Arabie séoudite passaient leurs journées à faire l’acquisition de cet ouvrage écrit par un mécréant afin que le bon peuple de France ne soit pas influencé par cette lecture nauséabonde ! Cette douloureuse expérience mériterait d’être méditée tant elle n’a pas pris la moindre ride et tant rien se semble vraiment avoir changé depuis.
Lecture incontournable pour celui qui veut comprendre le terrorisme, ses causes, le rôle incontesté de l’Arabie saoudite dans le développement de ce fléau qui touche nos sociétés. Lecture à méditer par nos tous nos dirigeants politiques (droite et gauche confondue) qui se sont compromis avec le régime saoudien en pleine connaissance de cause de ses turpitudes justifiées par un fondamentalisme religieux de mauvais aloi. Lecture à intégrer dans ses réflexions par le président de la République, Emmanuel Macron (et toutes ses nombreuses équipes de brillants experts) au moment où il entame la préparation de cette conférence sur le financement du terrorisme en avril 2018, conférence annoncée urbi et orbi lors de la semaine des ambassadeurs et de son discours devant la 72ème Assemblée générale de l’ONU. Va-t-on pour une fois avoir le courage d’appeler un chat un chat. Ce serait un petit pas pour l’homme mais un grand pas pour l’humanité dans sa quête de stabilité et de sécurité. Wahhabisme, saoudisme (excusez pour ce néologisme barbare), fondamentalisme, terrorisme, tel est le quarté gagnant du monde instable et imprévisible de ce début de XXIe siècle !
Jean Daspry
Notes
1 Cf2R, sous la direction d’Éric Denécé, La menace mondiale de l’idéologie wahhabite. Aux origines du terrorisme qui frappe la France, Collection Arcana Imperii, 2017.
2 Jean-Marie Foulquier, Arabie séoudite. La dictature protégée, Albin Michel, 1995.
Source : Proche et Moyen-Orient.ch
Observatoire Géostratégique
https://prochetmoyen-orient.ch/wahhabisme-saoudisme-fondamentalisme-terrorisme/