Dans leur extraordinaire variété de symboles, usages et matériaux, les artefacts africains partagent la fonction de lien entre la société des humains et les forces invisibles.
Les asen du Dahomey utilisés pour les offrandes aux morts héritent des anciens cultes agraires des populations du Golfe de Guinée.
Les objets de fer forgé venant d’une vaste aire culturelle dont l’épicentre sont le Bénin et le Nigéria actuels -et anciennement le Royaume du Dahomey- sont conçus comme supports essentiels des ceremonies de libation aux esprits des ancêtres.
Nommés asen ou sinuka (calebasse à boire de l’eau), leur production s’est développée probablement aux alentours du 17ème siècle -certaines traditions orales les faisant remonter au roi Akaba (1685-1716)- près des ethnies Ashanti, Yoruba, Adja, Ewe et Fon.
Un art populaire
Un ouvrage, Asen, mémoire de fer forgé. Art vodoun du Dahomey (Editions Ides et Calendes / Musée Barbier-Mueller) de Suzanne Preston Blier, professeur de Beaux-arts et d’Etudes africaines et afro-américaines à l’Université de Harvard (Usa), est paru pour accompagner l’exposition éponyme qui se déroule jusqu’au 26 mai 2019 au Musée Barbier-Mueller (Genève, Suisse).
Dans le texte, l’auteure restitue le débat passionnant sur les sources de cette tradition sculpturale. La these exclusive de l’origine courtoise des asen et de leur rôle commemoratif des souverains s’y confronte avec une autre qui en inscrit l’apparition à partir d’un contexte purement religieux.
Or, si ces objets ne sont pas apanage que de l’art palatial, et quelques experts, comme le specialist Joseph Adande, en établissent l’essor avant l’avènement du Royaume du Dahomey, leur fonction s’élargit à la société dans son ensemble, dont ils représentent un element rituel doté d’une forme de langage codé.
Suzanne Preston Blier réfute l’interprétation “aristocratique”, propre par exemple d’Edna Bay, et situe les asen au centre de l’évolution historique, socio-politique et religieuse de la sous-région. Sorte d’autels portatifs plantés en terre, ils étaient considérés par les populations comme les gardiens des anciennes communautés agraires, protecteurs du foyer, des récoltes et de la fécondité.
Pendant la liturgie et les chants censés capter l’attention des forces invisibles, notamment de l’esprit du défunt du lignage, un guérisseur pouvait officier si la séance avait été convoquée avec des finalités thérapéutiques.
Au delà du dilemme
L’extension des asen dans le temps avec une datation de quatre siècles abondants, leur diffusion dans un espace géografique important marqué par l’éclosion d’une véritable civilisation et leurs usages pluriels permettent de dépasser la querelle de l’appartenance entre art courtois et populaire. On en appréciera ainsi les aspects apparemment contradictoires et difformes, autant de facteurs qui ont influençé les échanges et enrichi les sociétés de provenance.
Les artisans forgerons, anonymes ou connus -Suzanne Preston Blier en dresse plusieurs portraits- témoignent de cette multiplicité dans l’application, dans la méthodologie et dans l’inspiration qui à la base de leur savoir faire.
Qu’ils se soient mis à l’oeuvre en mobilisant une symbologie apte à évoquer les hauts faits d’un roi, ou à encourager les payans à resister à une invasion, ou tout simplement pour fabriquer un récipient réunissant les offrandes aux morts, ces artistes du fer sont les dépositaires d’un heritage très ancien de cultes agraires de la fertilité de la terre.
Luigi Elongui