Début janvier, les groupes qui sévissent au Sahel ont soudainement lancé les hostilités au sud du mali et au sud de l’Algérie. Cette nouvelle stratégie se révèle être un très mauvais calcul.
Constatant l’immobilisme des pays africains et occidentaux qui se sont engagés à assister Bamako à recouvrer son intégrité territoriale, les groupes terroristes décident de passer à l’offensive et de s’emparer du Sud du Mali afin de rendre impossible toute opération de reconquête du Nord, qu’ils occupent.
L’entrée en action des moyens aériens et aéroterrestres français a été décidée en urgence. Les objectifs de l’opération Serval sont clairs : stopper la progression des djihadistes vers le Sud et protéger la capitale malienne, sa population et les nombreux ressortissants français et étrangers ; accessoirement, affaiblir les groupes islamistes dans la perspective de la reconquête du Nord.
Mais ce n’est pas là l’objectif actuel de la France. Il faudrait vraiment qu’il y ait une déroute massive de ces groupes pour que, profitant de cette opportunité, une telle action soit entreprise. Et Paris ne souhaite pas se lancer dans cette aventure sans l’accord et le soutien de ses partenaires régionaux et internationaux, en premier lieu l’Algérie, dont les unités militaires aguerries par deux décennies de lutte contre le terrorisme bloquent les frontières nord du théâtre d’opérations.
Aussitôt, l’Algérie, longtemps opposée à toute intervention militaire, a autorisé le survol de son territoire par les aéronefs militaires français engagés dans l’intervention. C’est un acte de soutien exceptionnel qui doit être salué. Cette évolution de la position algérienne s’explique par la rupture unilatérale des négociations par Ansar Eddine et par la compréhension qu’une offensive victorieuse des djihadistes au Mali allait leur permettre de s’emparer de l’État, des stocks d’armes et provoquer de nombreuses victimes parmi les populations.
La première erreur majeure commise par les groupes terroristes ces derniers jours a donc été de sortir de leurs sanctuaires pour reprendre l’offensive. Et ils sont en train de le payer très cher.
Tous les experts militaires le savent : lorsque des combattants irréguliers abandonnent la guérilla pour se lancer dans des actions militaires offensives classiques, à découvert, ils sont plus faciles à détruire, car ils perdent l’avantage que leur conférait leur tactique asymétrique. En effet, face à une armée moderne, leurs moyens sont dérisoires et ils se font étriller.
Par ailleurs, pour les forces franco-maliennes – les seules engagées pour le moment –, les conditions de combat sont infiniment plus favorables que celles en l’Afghanistan, pour de nombreuses raisons.
L’armée française, malgré la réduction constante de ses effectifs, est rompue aux opérations africaines en milieu désertique et semi-désertique. Ses hommes et ses matériels sont adaptés à ce théâtre.
Les unités terrestres et aériennes sortent de dix années d’opération en Afghanistan qui les ont considérablement entraînées et endurcies. Elles sont donc préparées à ce genre de situation, et les effectifs libérés par le retrait de ce pays sont disponibles pour être engagés au Sahel.
Les opérations ont lieu à une distance raisonnable de la métropole (ravitaillement et frappes aériennes) et à proximité des bases militaires et logistiques françaises d’Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Tchad).
Une grande partie des opérations ont – et vont avoir lieu – dans des zones vides de population, ce qui signifie que les djihadistes seront plus facilement identifiables et qu’il y a moins à craindre d’effets collatéraux aux conséquences désastreuses.
Surtout, et c’est un facteur primordial, les interventions ont lieu dans un milieu humain favorable, car la population locale est farouchement hostile aux pratiques moyenâgeuses des salafistes et attend d’être libérée. C’est une différence majeure d’avec l’Afghanistan.
De plus, même dans le reste du Sahara où ils se sont implantés depuis une dizaine d’années – notamment en multipliant les liens économiques et familiaux (mariages) –, ces groupes terroristes ne disposent pas d’une assise locale aussi solide que celle des taliban en Afghanistan.
Seuls les sanctuaires du Nord-Est malien (Adrar des Iforas) présentent pour les terroristes un théâtre favorable. Il l’est toutefois moins que celui des montagnes afghanes (isolement, faibles ressources en eau, chaleur, tempête de sable, difficulté de ravitaillement), même s’ils sont accoutumés à ces conditions.
Si les frontières du Mali sont poreuses et les forces armées des pays voisins très limitées – à l’exception notable de l’Algérie –, ces groupes ne sont pas les bienvenus dans les États frontaliers. C’est une différence significative avec l’Afghanistan où le Pakistan et l’Iran sont des zones refuges sûres pour les taliban.
Les djihadistes ont donc fait une grossière erreur d’évaluation de la situation : ils ont attaqué au mauvais moment – les Français étaient « disponibles » – et d’une mauvaise façon : en sortant de leurs sanctuaires, ils deviennent des cibles plus « facilement » identifiables et éliminables. Espérons qu’ils vont continuer, cela réduira d’autant leur potentiel et rendra moins coûteuse, dans quelques mois, la reconquête du Mali par une force interafricaine.
Loin de nous le fait de vouloir parler d’une guerre facile. Cela n’existe pas. Mais les conditions de cet engagement semblent présenter plus de chances de succès que les opérations en Afghanistan, en Irak ou en Somalie.
Algérie : la prise d’otages d’In Amenas
En réaction à l’intervention française – et à l’autorisation de survol de son territoire accordée par Alger – le 16 janvier, des éléments appartenant au groupe Mokhtar Belmokhtar ont attaqué une base-vie Sonatrach-BP-Statoil à In Amenas, dans le sud-est de l’Algérie. Plusieurs ressortissants étrangers et algériens ont été retenus en otages pendant plusieurs jours, jusqu’à ce que les forces spéciales algériennes interviennent. C’est là la seconde erreur des terroristes.
Ou bien ceux qui ont effectué cette prise d’otages sont idiots, ou bien, connaissant l’extrême fermeté du gouvernement algérien, ils avaient l’intention de faire de leur action un véritable massacre, mis en scène devant les caméras des médias du monde entier.
En effet, ils savaient que les autorités ne négocieraient pas. À moins qu’ils ne se soient imaginé que le nombre élevé de ressortissants étrangers parmi les otages multiplie les pressions extérieures et infléchissent leur position.
Or la réaction du gouvernement algérien a totalement annihilé leur stratégie. La décision d’intervenir rapidement – à la suite d’une tentative de sortie des preneurs d’otages – a été extrêmement efficace. Elle n’a pas permis aux terroristes de bénéficier de l’écho médiatique qu’ils recherchaient, ni de préparer la mise en scène qu’ils avaient probablement planifiée. Surtout, ils ont été surpris par la rapidité de l’assaut. Rappelons qu’au-delà des vies humaines en jeu, les terroristes auraient aussi pu faire sauter le complexe gazier, provoquant des dégâts considérables… et davantage de victimes.
Certes, l’intervention a provoqué l’exécution d’une partie des otages. Nous n’oublions nullement ces victimes innocentes, et le drame humain que représente leur barbare assassinat de sang-froid mérite toute notre compassion. Certes, les actions antiterroristes « chirurgicales » ne sont pas la priorité des forces spéciales algériennes. Mais ce n’est pas du mépris de la vie des otages, comme certains l’affirment péremptoirement dans la presse occidentale. C’est une psychologie différente, celle d’un pays qui a connu deux décennies d’attentats et de massacres terroristes, qui sait donc l’importance du danger et la nécessité d’y répondre. Au demeurant, rien ne permet de dire que d’autres auraient fait mieux.
L’avenir au Sahel
Quelle va être la durée du conflit au Sahel ? Il est trop tôt pour le dire. Tout va dépendre de la réaction des terroristes : est-ce qu’ils vont poursuivre leur offensive ? Vont-ils s’enfuir et refuser le combat ? Quel niveau de pertes sont-ils prêts à subir ? Les prochains jours devraient éclaircir la situation et apporter des réponses. Mais au-delà des affrontements actuels, il convient d’ores et déjà de préparer la reconstruction politico-administrative et le développement économique de toute la région sahélienne, conditions essentielles à l’établissement d’une paix et d’une sécurité durables.
* Éric Denécé est directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Dernier ouvrage paru : La Face cachée des révolutions arabes (collectif, Ellipses).