Le moins qu’on puisse dire, c’est que la campagne électorale relègue à l’arrière-boutique les questions essentielles. Quel rôle jouera la France dans le monde de demain ? Va-t-elle restaurer sa souveraineté ou se résigner à sa disparition ? Que ces questions soient absentes du débat politique est révélateur. À leur place, des politiciens drogués à la « com » et des médias asservis à la finance nous servent une soupe insipide où surnagent quelques grumeaux à base d’histoires de pognon et de postures ridicules.
La troïka des eurobéats…
Mais chassez ces questions par la porte, elles reviennent par la fenêtre ! Du côté de ceux qui font la sourde oreille, on trouve François Fillon, Emmanuel Macron et Benoît Hamon. En dépit de leurs différences apparentes, ces trois candidats s’accommodent fort bien du carcan qui enserre depuis des décennies l’action internationale de la France. Que ce soit sur les plans économique, diplomatique ou stratégique, ce vieux pays démissionnaire serait condamné à suivre les vents dominants.
Pour ces trois représentants de l’eurobéatitude, l’appartenance à l’Union européenne (UE) est à la fois providentielle et irréversible. M. Hamon est sans doute plus fédéraliste que M. Fillon, et M. Macron davantage encore, mais cette différence est faible dès lors que le principe de supranationalité est reçu comme une nécessité absolue. Quant à l’euro, ils y voient un atout sans pareil dans la compétition économique internationale. M. Hamon, lui, y croit tellement qu’il veut doter l’Europe d’un nouveau machin baptisé « Parlement de la zone euro ».
Relais de la mondialisation libérale, l’union économique et monétaire continuera donc de plomber l’économie française si l’un de ces trois candidats venait à l’emporter. De même, à leurs yeux, l’appartenance de la France à l’Otan est une évidence qu’ils ne songent même pas à interroger. Le réflexe atlantiste est si profondément enraciné, du Parti socialiste aux « Républicains », que la pérennité de cette alliance militaire va de soi, l’essentiel étant d’encercler la Russie et de servir les ambitions de Washington.
Les velléités d’indépendance de M. Fillon, sur ce plan, furent de courte durée. D’abord favorable au dialogue avec Moscou, il a mis de l’eau dans son vin, curieusement, au moment même où l’administration Trump a commencé à manifester quelque hésitation. M. Macron, lui, a fait la leçon au nouveau président américain, lui reprochant de brader les valeurs libérales (entendez, le libre-échangisme cher à l’oligarchie) qui constitueraient le patrimoine commun de la France et des États-Unis depuis La Fayette.
Patriote le FN ? Surtout occidentaliste !
C’est donc du côté des autres candidats, et non de cette troïka, qu’il faut aller chercher un discours sur la souveraineté qui ne se résume pas à son abandon en rase campagne. C’est le cas avec Marine Le Pen, dont la présence au deuxième tour est prophétisée par les enquêtes d’opinion. Si elle est élue, elle entend renégocier les traités européens. En cas d’échec de ces négociations (ce qui est plus que probable), la nouvelle présidente organisera dans les six mois un référendum sur la sortie de l’UE.
En politique étrangère, la candidate du FN a toujours dénoncé la politique interventionniste de la France et son alignement sur l’agenda américain, que ce soit en Syrie ou en Ukraine. Mais son programme prévoit le retrait de la France du commandement intégré de l’Otan, et non la sortie pure et simple de cette alliance militaire. Si on y regarde de près, Marine Le Pen n’a pas l’intention de rompre avec l’alliance atlantique ni de mettre fin à l’appartenance de la France au « camp occidental ».
Car la France, dit-on, fait partie d’une entité plus vaste dont il faut préserver l’identité. Dépositaire de valeurs supérieures, l’Occident doit enrayer son déclin en donnant un coup d’arrêt à l’immigration sous toutes ses formes. Le FN se dit patriote, mais en réalité il est occidentaliste, tout comme il est pro-israélien au nom de la lutte contre l’islamisme. Stratégie du bouc émissaire, son islamophobie sert la thèse du choc des civilisations. L’extrême droite a une longue histoire, et son héritage colonialiste lui colle aux semelles.
Loin de cette confusion entre identité et souveraineté, le programme de la France insoumise se réclame, lui, d’un « indépendantisme français » qui renoue avec les meilleures traditions de la gauche. Point essentiel de son programme, M. Mélenchon veut renégocier les traités européens (plan A). En cas d’échec, la France « désobéira aux traités » et refondera l’Europe avec les pays qui partagent ses priorités (plan B). Ce scénario alternatif, toutefois, présente un avantage et un inconvénient.
Quitter l’Otan, une nécessité
L’avantage, c’est qu’il signe clairement le refus de l’Europe des banquiers. L’inconvénient, c’est qu’il élude la question de la sortie de l’Union européenne. Ce n’est pas pour rien que les dogmes libéraux sont inscrits dans le marbre des traités européens. Ils sont la raison d’être de l’Union, et pour les jeter aux orties, il faudra sortir de l’UE. Sur ce plan, François Asselineau a raison. On ne peut restaurer la souveraineté nationale qu’en rompant les amarres avec une institution dont la fonction est de soustraire l’économie à la délibération démocratique.
Pour restaurer la souveraineté de la France, enfin, il faudra quitter l’Otan. Pas seulement le commandement intégré, mais l’alliance atlantique elle-même. En consommant cette rupture, M. Mélenchon veut mettre fin à l’alignement de la France. Avec des accents gaulliens, il prône une diplomatie élargie aux cinq continents. Il veut en finir avec le suivisme des présidences précédentes et faire entendre une voix indépendante sur la scène mondiale. C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles l’oligarchie, qui contrôle les médias de masse, ne lui fait pas de cadeaux.
(*) Bruno Guigue est un ex-haut fonctionnaire, analyste politique et chargé de cours à l’université de la Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont Aux origines du conflit israélo-arabe, L’Invisible remords de l’Occident (L’Harmattan, 2002), et de centaines d’articles.