L’ex-première assistante adjointe au secrétariat américain à la Défense pour les questions de sécurité (Asie et Pacifique) analyse la décision du président américain de maintenir, voire augmenter, les effectifs de l’US Army en Afghanistan.
Le président Donald Trump vient de prendre l’une des décisions les plus importantes de sa jeune et turbulente présidence sur la nécessité d’envoyer des milliers de soldats américains supplémentaires en Afghanistan et sur ses objectifs. Si la presse est correcte, l’idée d’accroître l’engagement américain en Afghanistan est la solution favorite de l’équipe de sécurité nationale de Trump, et malgré les doutes du président, la solution définitive. L’objectif : aider les Forces afghanes de défense et de sécurité nationales à stabiliser la situation sécuritaire, à gagner de vitesse les Talibans et à empêcher État islamique de s’installer en Afghanistan.
L’administration Trump affirmera que c’est une nouvelle stratégie, une rupture claire avec l’approche de Barack Obama, mais, en réalité, ce n’est qu’un ajustement modéré d’une stratégie globale qui a été mise en place depuis des années, avec des résultats mitigés.
En attendant, malgré l’importance de cette décision, l’Afghanistan reste un monologue sur la sécurité nationale à la Rodney Dangerfield (célèbre showman américain – NDT). La question n’occupe pas nos conversations. On disait que c’était une bonne guerre. Aujourd’hui, c’est une guerre oubliée. L’Afghanistan n’a pas du tout été abordée dans la campagne présidentielle de 2016, pas un seul débat, pas la moindre mention significative dans les discours des deux candidats. Et, pourtant, 2400 soldats américains ont payé le prix le plus élevé en Afghanistan. Plus de 20 000 soldats américains ont été blessés sur le terrain. Les États-Unis ont dépensé plus de $100 milliards en assistance et pour la sécurité de l’Afghanistan depuis 2002 (sans compter les centaines de milliards de dollars dépensées pour la guerre elle-même). Malheureusement, malgré cet investissement de sang et d’argent, le regard porté par la plupart des Américains est en quasi rupture psychologique avec les événements les plus traumatisants de notre histoire.
Comme nombre d’Américains, j’ai du mal avec ce que les États-Unis devraient faire en Afghanistan, les réponses ne sont pas évidentes et les options, jamais satisfaisantes. Dans mes fonctions précédentes, j’ai fortement soutenu la décision du président Barack Obama de maintenir le niveau des troupes américaines à la fin de l’administration, car je pensais que les risques potentiels de leur réduction étaient plus élevés que ceux, connus, de rester. Je pensais, aussi, qu’il était important de préserver la stabilité en Afghanistan pendant le changement d’administration. Aujourd’hui, je crois que, tout considéré, maintenir l’engagement américain en Afghanistan est, d’une certaine manière, plus important maintenant que jamais, dans un monde qui met en question notre fiabilité. Et, avec tous les problèmes qui pourrissent dans le monde, nous ne pouvons pas nous permettre le risque d’une plus grande instabilité en Afghanistan en ce moment. Mais je pense, aussi, que les États-Unis ne devraient pas continuer à avancer sur pilote automatique et que la fin du conflit passera d’abord par la voie politique et non militaire, un aspect de la stratégie de cette administration lamentablement négligé jusqu’ici. Le président peut ne pas vouloir donner de date pour le retrait, mais il lui faut articuler clairement les raisons qui justifient le maintien, ainsi que les conditions d’un succès manifeste, selon lui.
Si le président veut faire prendre des risques aux soldats et aux personnels civils américains, il leur doit d’être clair sur la nature de leur mission, les ressources (militaires et non militaires), pour la mener, et, plus important, sur la responsabilité d’objectifs clairs. L’équipe Trump est, d’après ce qu’on dit, en train de terminer l’examen de sa stratégie. Et, pour la première fois, le noyau de l’équipe de sécurité nationale est composé presque entièrement de vétérans d’Afghanistan : H.R. McMaster, le conseiller pour la sécurité nationale, le secrétaire à la Défense, James Mattis, le chef d’état major interarmées, Joseph Dunford, et le chef d’état major, John Kelly. Cette équipe a certainement l’expérience pour présenter au président une image réfléchie, mais pas nécessairement dépassionnée, de ce qui marche et de ce qui ne marche pas en Afghanistan. Et Mattis a insisté sur le fait que l’examen est suffisamment rigoureux.
Considérant que cette étude est en effet exhaustive, le résultat publié pose quelques questions auxquelles le président et son équipe devront répondre face à l’opinion publique américaine :
- Qu’est-ce que nous essayons de réussir en Afghanistan et pourquoi est-il important que nous restions plus longtemps après 16 ans de présence ?
- Nous sommes entrés en Afghanistan pour vaincre al-Qaeda, ce que nous avons largement réalisé. Qui est l’ennemi aujourd’hui et quel type de menace représente-t-il pour les États-Unis ?
- Vous ne voulez pas définir un agenda de retrait, mais voulez-vous que nous restions là-bas éternellement ? Si c’est le cas, dans quel but ? Si non, quelles seraient les conditions de la fin de l’engagement militaire américain ?
- Est-ce qu’une augmentation modeste des troupes fait une différence significative et mesurable, ou sommes-nous juste en train de repousser la défaite ? Comment saurons-nous que nous avons gagné ?
- À quoi ressemblera la fin du conflit, et avons-nous une stratégie politique pour y parvenir ? Qui en est responsable ?
- Comment nos alliés s’intègrent-ils et comment nous assurons-nous au mieux de leur engagement et de leur soutien ?
- Comment améliorons-nous notre réponse au problème permanent des refuges au Pakistan sans créer des problèmes plus graves ?
- Demanderez-vous à la Chine de prendre davantage de responsabilités en Afghanistan, ou continueront-nous d’abuser de nos investissements sécuritaires ?
- Finançons-nous et attribuons-nous du personnel à notre stratégie de façon appropriée, et si non, quels ajustements faut-il faire ? Combien de temps ce financement est-il viable ?
- Quels sont les coûts globaux pour rester en piste ? Et pourquoi devrions-nous être prêts à les payer ?
Malheureusement, je suis persuadée que ce président n’a pas pris le soin de répondre sérieusement à ces questions. Après avoir essayé de faire porter la responsabilité de cette guerre par les généraux et sans même être allé en Afghanistan avant de prendre sa décision, les actions de Trump en disent long sur son niveau d’intérêt. Et aucun bon procédé politique ne peut compenser un président non intéressé.
Malgré son manque d’intérêt, cependant, ce sera, désormais, la guerre de Trump, pas celle de Barack Obama, ni de George W. Bush, ni d’H.R. McMaster. Il portera la responsabilité des succès et des échecs de ses décisions. Je subodore que cela inquiète plus le président Trump que toute autre chose dans sa présidence jusqu’ici. Dans le sillage des événements tragiques de Charlottesville et de l’abdication d’autorité morale du président, cette décision prend aussi un nouveau sens. Ce président a-t-il la crédibilité nécessaire pour unifier le pays autour de la décision de mettre plus de soldats en danger ? Nous le saurons bientôt.
* Kelly Magsamen a été première assistante adjointe au secrétariat de la Défense pour la sécurité (Asie et le Pacifique) de 2014 à 2017. Auparavant, elle a occupé différents postes au Conseil national de sécurité (CNS), assistante spéciale du président et directrice du planning stratégique de 2012 à 2014, Au CNS, directrice pour l’Iran, de 2008 à 2011, puis directrice et première conseillère pour les réformes au Moyen Orient après le Printemps arabe, de 2011 à 2012.
Source : https://foreignpolicy.com/
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne