L’histoire se répète au Zimbabwe. Une élection présidentielle doublée d’élections législatives s’y est tenue le 31 juillet dernier. Robert Mugabe, 89 ans, héros de la lutte d’indépendance, au pouvoir depuis trente-trois ans, a été déclaré vainqueur par la Cour constitutionnelle zimbabwéenne à la mi-août. Cette fois, il a fait plus fort que lors du précédent scrutin qu’il n’avait remporté qu’au second tour, qui plus est après le retrait de son adversaire Morgan Tsvangirai, contraint de jeter l’éponge pour éviter la poursuite des violences contre ses partisans attribuées au parti présidentiel.
Mugabe a donc gagné au premier tour face au même Tsvangirai, sévèrement battu selon la Cour constitutionnelle, une institution à l’indépendance contestée, avec 24 % de voix d’écart : 34 % des voix contre 61 % au vainqueur. Comme d’habitude, l’opposition emmenée par Tsvangirai et des observateurs locaux ont crié à la manipulation des listes électorales. Comme d’habitude, l’Union européenne et les États-Unis, qui imposent un embargo contre le régime Mugabe dont pâtissent surtout les Zimbabwéens ordinaires, ont émis des doutes sérieux sur la crédibilité du scrutin. Les observateurs de l’Union africaine (UE) et de l’organisation sous-régionale d’Afrique australe, la SADC, ont vu l’exact contraire des fraudes massives dénoncées par les représentants occidentaux. Confortablement assis dans leurs fauteuils de Bruxelles ou de Washington, ils s’en sont remis à quelques câbles de leurs représentations diplomatiques, à l’anti-mugabisme bien établi, pour décréter qu’il n’était pas possible que Mugabe l’emporte au premier tour.
Il se trouve que tous les Zimbabwéens ne pensent pas comme Londres ou Washington. Si une bonne partie d’entre eux conspue Mugabe tenu pour responsable de l’état désastreux de l’économie, d’autres continuent de le célébrer comme celui qui a libéré le pays de la domination de la minorité blanche et a engagé une réforme agraire qui a permis, en dépit de ses ratés, à un nombre non négligeable de Noirs de devenir propriétaires de fermes agricoles que continuait de détenir la minorité blanche. Pour nombre de Zimbabwéens, les pays occidentaux ont une part de responsabilité dans la descente aux enfers du Zimbabwe. En réalité, ils ont fourni à Mugabe les arguments dont il avait besoin pour se refaire une aura de héros national. Certes, sa politique de redistribution des terres a été souvent critiquée pour avoir fait baisser les rendements agricoles, ou pour n’avoir profité qu’aux proches du pouvoir et non aux vrais vétérans de la guerre d’indépendance. Toutefois, nombre de Zimbabwéens expriment leur reconnaissance à Mugabe pour leur avoir permis de redevenir propriétaires de terres dont ils avaient été spoliés par les colons britanniques.
Lors de son investiture en grande pompe du 22 août, il a demandé de pleurer la « turpitude morale » de ces anciens colons qui continuent à estimer avoir un droit de regard sur ce qui se passe dans l’ancienne colonie. Le peuple a préféré confier son destin à Mugabe au détriment de Tsvangirai, qu’une propagande opportuniste a présenté comme l’allié des puissances occidentales désireuses de reprendre pied dans le pays, pour réattribuer les terres fertiles aux Blancs.
Les médias occidentaux ont abondamment relayé cette phrase de Mugabe : « Nous nous sommes vaillamment battus lors de cette élection, et nous avons gagné de manière si écrasante que certains ont très mal […]. S’ils ne peuvent pas le supporter, qu’ils aillent se faire pendre. » Le couplet a fait très mal chez les vaincus, mais a soulevé un tonnerre d’applaudissements chez les partisans du maître de Harare. Appeler l’opposition contestatrice à aller se faire pendre, au lieu de l’exhorter à utiliser des voies légales impartiales pour établir la véracité des faits, n’est pas une réaction digne d’un leader qui prétend être démocrate. Mais, est-ce démocratiquement correct, pour les grandes démocraties occidentales, de s’acharner autant contre tout un peuple, au motif que les choix électoraux de celui-ci ne rencontreraient pas leur adhésion ? Qui de l’UE, des États-Unis ou du peuple zimbabwéen détient la légitimité démocratique au Zimbabwe ? Pourquoi appelle-t-on Mugabe, avec mépris, le « vieillard d’Harare », alors que la reine d’Angleterre, qui a pratiquement le même âge, est traitée avec tous les égards, bien que continuant à se prendre et à agir comme souveraine suprême de pays indépendants ?
Quand les États-Unis et leurs alliés comprendront-ils que la souveraineté du Zimbabwe appartient aux Zimbabwéens et cesseront de vouloir imposer la pensée unique sur Mugabe et l’Afrique ?
Au Mali, une élection a été organisée à la va-vite par les Occidentaux, et ses résultats rapidement reconnus par ceux-ci, bien que le scrutin n’ait pas pu se tenir sur tout le territoire national. Au Kenya, ils ont menacé le peuple de sanctions s’il élisait le candidat qu’ils n’aiment pas, Uhuru Kenyatta. Le peuple a choisi Kenyatta. Cet interventionnisme occidental dans les processus politiques en Afrique est foncièrement antidémocratique, et il est curieux que les ONG de droits humains ne le soulignent pratiquement jamais. À moins qu’elles n’aient, elles aussi, des agendas cachés, à la remorque de ceux imposés par leurs puissants bailleurs de fonds. Le jour où ils le voudront, les Zimbabwéens se sépareront de Mugabe. L’Occident, qui a soutenu l’apartheid à bout de bras des décennies durant, devrait se tenir bien loin. Ne serait-ce que par décence.