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Sinistre anniversaire : depuis le 15 mars, la Syrie, naguère l’un des pays les plus stables du Moyen-Orient, est entrée dans la 7e année d’une guerre dont le bilan humain, matériel, économique, psychologique, et, surtout, géopolitique, est effroyable. Et il est loin d’être définitif.
Sur le plan humain, on estime le nombre de morts à près de 300 000, dont le tiers dans les rangs de l’armée arabe syrienne. Les autres victimes se comptent parmi les civils des deux camps, mais aussi dans les rangs des groupes armés dont les effectifs varient, selon l’évolution du conflit, de 60 000 à 300 000 individus. Ils sont venus combattre non pour l’avènement d’un régime démocratique, mais ouvertement pour l’instauration d’un pouvoir califal moyenâgeux pseudo-islamique. Et leurs victimes sont presque exclusivement des musulmans. À cette liste tragique s’ajoutent les invalides de guerre, dont le nombre avoisine le million. Malgré la résilience de la société et de l’État syrien, et en dépit du déclenchement, en 2016, d’un laborieux processus de sortie de guerre à Astana et à Genève, la guerre en Syrie, et contre la Syrie, est loin d’être finie.
On compte pas moins de trois millions de réfugiés dans les pays limitrophes, principalement en Turquie, au Liban et en Jordanie, trois pays qui avaient, au moins au début du conflit, laissé complaisamment passer sur leur territoire ces extrémistes ultra-violents venus des quatre coins de la planète, afin qu’ils sèment la désolation et la terreur en Syrie. Il aura fallu attendre 2015 pour que la Turquie, dans une manœuvre d’intimidation et de chantage, déverse près d’un million de réfugiés syriens vers l’Europe occidentale, particulièrement en Allemagne, pour que celle-ci se préoccupe de la situation des réfugiés. Et il convient d’y ajouter près de 9 millions de déplacés à l’intérieur même de la Syrie, majoritairement installés dans les zones loyalistes. Pour une population estimée à 24 millions, l’hémorragie est colossale, et la facture psychologique abyssale.
Sur le plan économique, l’ardoise se monte jusqu’à présent à quelque 400 milliards de dollars. Avant la guerre, la Syrie était l’un des rares pays du Sud à avoir atteint l’autosuffisance alimentaire. Son agriculture est aujourd’hui sinistrée à près de 80 %. C’est le cas également de son tissu industriel, la moitié de ses usines étant soit détruite, soit pillée, soit à l’arrêt. Les hôpitaux ont été également ravagés par le conflit, et l’industrie pharmaceutique (le pays produisait auparavant 95 % de ses besoins) presque anéantie. Sans oublier l’essor, dans les zones contrôlées par les groupes armés, de la contrefaçon de médicaments qui fauchent des milliers de vies chaque année.
Le secteur pétrolier et énergétique a été saccagé et pillé par Daech et les groupes qaïdistes. De pays autosuffisant en hydrocarbures, la Syrie en est aujourd’hui réduite à la dépendance. Quant à la monnaie, elle a dégringolé : un euro valait 50 livres syriennes en 2011. Il en vaut actuellement plus de 500.
À ce bilan non exhaustif, il faut ajouter les sanctions européennes et américaines qui frappent durement l’économie, dans la mesure où elles interdisent les investissements, les transferts et les échanges commerciaux. Plutôt que de « punir le régime », elles touchent les couches les plus fragiles de la société.
Mais c’est sur le plan géopolitique que ces six ans de guerre contre la Syrie vont laisser les traces les plus durables. Mais cette fois-ci au profit du rééquilibrage des relations internationales. L’emploi à au moins cinq reprises d’un double veto sino-russe à l’Onu contre des résolutions occidentales voulant rééditer le sinistre précédent libyen a sonné le glas de l’unilatéralisme américain et réveillé la guerre froide. En voulant détruire l’État syrien, comme ils l’ont fait avec l’Irak et la Libye, et en instrumentalisant sournoisement l’intégrisme wahhabite, les États-Unis, et derrière eux l’Europe, se retrouvent en position d’arroseur arrosé. Le monstre terroriste qu’ils ont engendré sévit dorénavant chez eux, et ils sont contraints d’abandonner – du moins provisoirement – leur objectif d’anéantissement de la Syrie pour concentrer toutes leurs énergies en vue de se prémunir contre lui.
Les monarchies du Golfe, la Turquie et l’Europe, qui avaient misé sur une chute rapide de la Syrie, sont désormais les grandes perdantes de ce jeu planétaire meurtrier. Elles auront à gérer les lourdes conséquences sur leur stabilité. Quant aux États-Unis, ils sont en train de changer leur stratégie suicidaire et s’impliquent directement en Irak et en Syrie pour conjurer la menace intégriste. À cet effet, ils se rapprochent de la Russie, y compris militairement. Plusieurs milliers de leurs soldats sont déjà à l’œuvre sur les deux fronts.
Pourtant, il est trop tôt pour annoncer la fin du cauchemar. Car les va-t-en-guerre outre-Atlantique et en Europe rechignent toujours à accepter leur défaite stratégique. Faut-il rappeler que les plus grands dégâts dans la guerre contre le Vietnam ont été enregistrés alors même que la défaite américaine était devenue inéluctable ?
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