La stupéfaction est grande, au Kenya comme à l’étranger : la Cour suprême a invalidé l’élection présidentielle du 8 août dernier, qui avait donné la victoire au chef de l’État sortant, Uhuru Kenyatta, contre l’opposant historique Raila Odinga. Un nouveau scrutin doit avoir lieu, conformément à la Constitution, dans les deux mois.
Par une courte mais indiscutable majorité, les juges ont donc donné droit au recours de Raila Odinga, lequel était si peu convaincu de pouvoir se faire entendre par la cour qu’il n’avait finalement déposé sa requête, sous la pression de son entourage, que quelques heures avant la fin du délai légal. Les 9 000 pages du dossier ont été soigneusement étudiées. « Les élections ne sont pas un événement, mais un processus, a déclaré le président de la Cour, David Maraga. Après avoir examiné la totalité des preuves fournies, nous avons estimé que les élections ne s’étaient pas déroulées conformément aux articles et principes de la Constitution. » La commission électorale va devoir organiser un nouveau scrutin dans les soixante jours à venir.
Les avocats d’Uhuru Kenyatta et ceux de la Commission électorale ont immédiatement protesté, et réclamé des explications et des éclaircissements. Le conseil de Kenyatta, Me Ahmednasir Abdullahi, a estimé que cette décision était avant tout politique et qu’elle se substituait à la volonté des électeurs kenyans. Le président Maraga a coupé court aux commentaires en annonçant que l’arrêt rendu allait reprendre en détail les éléments ayant concouru à cette décision.
Quant aux avocats de la NASA (National Super Alliance, plateforme de l’opposition) et de Raila Odinga, ils se réjouissent de cette décision « historique, le premier jugement de ce genre en Afrique, et qui fait la fierté du Kenya et de sa démocratie », comme l’a commenté l’un d’entre eux, Me James Orengo.
C’est aussi un coup de tonnerre dans la vie même de l’opposant Raila Odinga. Âgé de 72 ans, c’est la dernière fois qu’il peut concourir à l’élection présidentielle, après avoir été battu par trois fois en 1997, 2007 et 2013. Dans son adresse à ses partisans, il a usé d’une métaphore biblique, comparant son parcours à « la marche du peuple vers la Terre promise de Canaan, que rien n’a pu arrêter ». Il n’a pas manqué ensuite de s’en prendre à la commission électorale, l’accusant d’avoir commis « un acte criminel » méritant la prison.
Il est désormais à craindre que de nouvelles violences viennent entacher la période pré-électorale qui s’amorce, sauf à penser que les hommes politiques en lice, Kenyatta comme Odinga, aient pu tirer les leçons du passé. Rien n’est moins sûr…