Un chapitre de l’histoire impériale de la Grande-Bretagne vient de se clore avec la reconnaissance par les autorités britanniques du massacre des Mau-Mau. C’est en 1952 que ces guérilleros kényans issus de l’ethnie kikuyu, la plus importante du Kenya, lançaient une insurrection en attaquant des fermes reculées situées sur ce qu’on appelait le « plateau des Blancs ». Ils voulaient libérer les terres fertiles qui leur avaient été volées par les colons britanniques. Les attaques firent trente-deux victimes chez les grands fermiers. Les Britanniques déclarèrent alors l’état d’urgence et lancèrent des opérations militaires impitoyables contre les insurgés, combattants de « la Terre et la liberté » vêtus de peaux de bêtes, armés de lances et de boucliers.
Selon la Commission des droits de l’homme, le nombre des victimes se situerait aux environs de 90 000. Près de 200 000 personnes furent emprisonnées dans des camps de la mort – dont le grand père de Barack Obama –, victimes d’exécutions sommaires, de tortures, de castration, de viol et de violences de la pire espèce, selon Martyn Day, l’un des avocats des survivants. Mais ces sacrifices ne furent pas vains. Car ce qui est resté dans l’Histoire comme « la révolte des Mau-Mau » allait mettre le Kenya sur la voie de l’indépendance, obtenue en 1963, avec un premier président kikuyu, leader du mouvement rebelle : Jomo Kenyatta.
Cependant, et aussi étonnant que cela puisse paraître, le mouvement nationaliste est resté illégal au Kenya jusqu’en 2003. Après la « révolte », en effet, le mouvement des Mau-Mau avait été interdit par les autorités coloniales britanniques, considéré comme une organisation terroriste inspirée par la sorcellerie. La loi sur son interdiction n’avait jamais été abrogée par aucun gouvernement du Kenya indépendant. Au contraire, les maquisards Mau-Mau, avec leurs allures de « sauvages » surgissant de leurs forêts profondes à l’indépendance, furent rapidement écartés et ne récupérèrent pas leurs terres. La révolte avait creusé une profonde division au sein de l’ethnie kikuyu, entre les « rebelles » et les « loyalistes » aux autorités coloniales, marquée par des actes de violence entre les deux clans. Et si Kenyatta, bien qu’ancien leader des rebelles, fut le premier président, ce sont les loyalistes qui tirèrent leur épingle du jeu de l’indépendance et s’attribuèrent pouvoir et terres fertiles.
Il a fallu attendre le 31 août 2003 pour que justice soit rendue à ces héros de l’indépendance par le troisième président, Mwai Kibaki, lui-même membre de l’ethnie kikuyu. En 2006, une statue fut érigée, pour la première fois, au centre de la capitale, à l’effigie de Dedan Kimathi, héros du mouvement Mau-Mau et donc de l’indépendance, pendu en 1957 par les autorités britanniques.
Il aura fallu, également, plus de quatre ans de bataille judiciaire pour que Londres reconnaisse cette vérité : « Des Kényans ont été soumis à des tortures et à d’autres formes de mauvais traitements lorsqu’ils étaient entre les mains de l’administration coloniale », comme l’a déclaré le ministre du Foreign Office, William Hague, devant la Chambre des Communes, le 6 juin. Il a, au nom de la Couronne, et pour la première fois, exprimé des regrets sincères – mais pas d’excuses. Les survivants Mau-Mau seront en outre indemnisés, comme ils l’avaient demandé à la justice britannique. Un montant de 23,5 millions d’euros, qui se réduira à 13,9 millions après rétribution des avocats, sera remis aux 5 228 plaignants ayant aujourd’hui entre 70 et 90 ans et plus. Pour les vétérans, c’est une « grande victoire » qui scelle la « réconciliation entre les Mau-Mau et le gouvernement britannique », comme le déclarait Gitu wa Kahengeri, 90 ans, porte-parole.
Pour Martin Day, du cabinet Leigh Day qui a représenté les victimes, « il est courageux de reconnaître publiquement pour la première fois la nature horrible du passé du Royaume-Uni au Kenya », y compris en versant des indemnisations « relativement significatives ». Mais, plus important encore, ce procès et son issue favorable aux victimes de l’Empire britannique pourraient faire tache d’huile dans d’autres anciennes colonies. Ce que conteste, bien sûr, William Hague, qui estime qu’il ne s’agit pas là d’un « précédent » pouvant faire jurisprudence. L’Histoire devra certainement trancher une nouvelle fois.