Quelles sont les raisons qui ont poussé les juges de la Cour suprême à invalider le scrutin du 8 août dernier ? En l’absence d’une réponse, les opinions et les candidats se radicalisent.
Les tensions sont exacerbées au Kenya, qui vit au jour le jour en attendant le prochain scrutin présidentiel, prévu pour le 17 octobre. L’invalidation des résultats précédents a, certes, montré à quel point le pays voulait rompre avec la fraude électorale, ce qui a été ressenti comme un modèle à suivre, un exemple pour tout le continent ; mais cette décision de justice a également eu pour conséquence de plonger le pays dans une campagne électorale encore plus âpre qu’il y a trois mois.
Uhuru Kenyatta, président sortant qui avait été proclamé vainqueur de l’élection, et Raila Odinga son challenger, sont chacun de son côté plus convaincus que jamais avoir réellement remporté la majorité des suffrages, et encore moins disposés que jamais à reconnaître la défaite. Ce qui revient à dire que les institutions ont beau fonctionner, la justice a beau être indépendante, tant que les personnalités politiques n’accepteront pas de jouer le jeu de la démocratie, il ne pourra y avoir de période électorale sereine.
D’ailleurs, Odinga a rajouté de la tension en annonçant, le 5 septembre dernier, qu’il ne participerait pas à l’élection si on ne lui donne pas des « garanties légales et constitutionnelles », ce qui signifie en fait qu’il exige que soit modifiée au préalable la composition de la Commission électorale (Independant Electoral and Boundaries Commission, IEBC), certains de ses membres étant, selon lui, passibles des tribunaux pénaux.
La Cour suprême doit encore publier les raisons qui l’ont conduite à cet arrêt historique, mais pour Odinga, il s’agit avant tout d’une faute délibérée de l’IEBC, qui a transmis de faux résultats de bureaux de vote à l’organe central de comptage des voix.
S’il est prouvé que le résultat obtenu par Kenyatta est bien le fait de manœuvres frauduleuses de l’IEBC, alors Odinga a raison de dire que si celle-ci n’est pas remodelée, il n’y a aucune raison qu’elle fasse un meilleur travail le 17 octobre prochain. Bien évidemment, Kenyatta ne veut pas entendre parler d’une quelconque modification de sa composition.
La Cour suprême est face à un délicat dilemme : soit elle dit que l’IEBC a failli à sa mission et, du coup, elle fait porter le soupçon de fraude sur le camp Kenyatta et favorise son opposant ; soit elle dit qu’il y a eu tout simplement des problèmes dans les calculs et elle reconnaît implicitement que le camp a de toute façon gagné.
Les critiques se font de plus en plus nombreuses, qui reprochent à la cour d’avoir rendu rapidement son arrêt, mais de tarder à sortir le texte donnant les explications légales. Il est pourtant urgent de savoir s’il faut incriminer l’IEBC et la réformer, ou pas.
Tout cette affaire embarrasse en tout cas tous les observateurs du scrutin du 8 août. À commencer par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui conduisait la mission d’observation de l’Union africaine, et qui avait déclaré que tout s’était déroulé dans la plus absolue transparence. L’ancien secrétaire d’État américain John Kerry, au titre de la Fondation Carter, avait également fait des compliments sur l’intégrité du scrutin. Il avait même conseillé à Odinga de reconnaître sa défaite… Tout le monde bat désormais en retraite, affirmant finalement qu’il y a deux choses bien différentes dans une élection : le processus de vote et le décompte des voix.