La décision, mercredi, du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël et d’y déménager l’ambassade des États-Unis suscite une vague de réprobation diplomatique et populaire partout dans le monde. Il n’y a pourtant pas lieu de s’étonner outre mesure ou d’être scandalisé de la politique des États-Unis à l’endroit de l’entité israélienne, spoliatrice des droits de la population palestinienne depuis la déclaration Balfour par la Grande-Bretagne impériale en 1917.
Ne sont scandalisés, hors de la Palestine occupée, que ceux qui ont cru naïvement à l’application des résolutions des Nations unies sur la Palestine et au plan de partage élaboré en 1947 par cette organisation et prévoyant que Jérusalem serait une ville ouverte ; ou encore ceux qui ont pu croire que les concessions successives des États arabes mèneraient à une reconnaissance minimale des droits des Palestiniens sur leur terre ancestrale. Des concessions telles que celles faites par l’Égypte lors des accords de Camp David du 18 septembre 1978 établissant les conditions de la paix avec l’État d’Israël ; puis celles de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à partir de 1988, couronnée par les accords d’Oslo du 13 septembre 1993 ; mais aussi celles du plan du prince héritier Fahd d’Arabie saoudite (1981) – qui propose notamment une reconnaissance implicite de l’État d’Israël contre, entre autres, un retrait des territoires occupés depuis 1967 (dont Jérusalem-Est) –, puis celles du roi Abdallah d’Arabie saoudite en 2002, aux quelles le président libanais Émile Lahoud fit rajouter heureusement en dernière minute le droit au retour des Palestiniens.
« Processus sans paix »
Cette théorie des concessions à faire sans arrêt pour obtenir un résidu de droits palestiniens a mené à la situation actuelle où le président américain ne fait qu’entériner un état de fait. Le fameux « processus » de paix mis en place en 1993 a permis aux Israéliens et aux États occidentaux de faire de la continuation indéfinie du processus le but en lui-même, au détriment de la réalisation de la paix, toujours plus éloignée sur le terrain du fait de la continuation et de l’accélération de la colonisation depuis les accords d’Oslo. Il est ainsi devenu un « processus sans paix » venant se substituer à la réalisation de la paix. C’est ce qui a permis à l’État d’Israël de continuer de coloniser allègrement la rive occidentale du Jourdain (tout en retirant les colonies de peuplement à Gaza, désormais encerclée de tous les côtés et réduite à la misère la plus extrême).
Si tout cela a été possible, c’est parce que le bon diagnostic sur la nature de l’État d’Israël n’a jamais été pleinement fait, à savoir que le cas israélien est une colonisation de type très classique, pareille à celle que la France fit de l’Algérie autrefois ou celle que des colons hollandais et britanniques firent de l’Afrique du Sud. Le territoire algérien fut entièrement intégré au territoire français, la France créant deux catégories de citoyenneté très différentes et réalisant une société d’« apartheid ». Le gouvernement afrikaner d’Afrique du Sud avait mis en place un apartheid de fer entre colons blancs et population locale noire. Pourtant, dans les deux cas, il a été mis fin à l’apartheid, ce qui aurait pu sembler inimaginable auparavant.
Aujourd’hui, la Palestine est entièrement colonisée et il convient de demander la fin de l’apartheid, car il est clair depuis plusieurs années qu’il n’y a pas de place pour deux États. Le fait que les colons soient de confession juive ne donne évidemment juridiquement aucun droit sur cette terre. Car même si des bouddhistes ou des chrétiens ou des musulmans non arabes avaient envahi la Palestine et y avaient établi des colonies, la résistance de la population locale et ses protestations auraient été aussi vives.
Il faut donc aujourd’hui se battre pour mettre fin à l’apartheid et réaliser une société de justice et d’égalité entre tous les habitants de ce territoire, quelle que soit leur religion.
Prix à payer
Il convient donc de rappeler aux États-Unis qu’après avoir procédé à un génocide de la population américaine de souche, ils ont eux-mêmes été longtemps une société d’apartheid et qu’il a fallu un long et douloureux combat pour le démanteler, combat qui a uni des Blancs et des Noirs et coûté la vie au pasteur Martin Luther King qui a eu le courage de rêver (« I have a dream »). À ce sujet, je voudrais rappeler et saluer le combat passé sous silence de nombreux citoyens de confession juive dans de nombreux pays, dont des communautés rabbiniques antisionistes qui manifestent souvent aux côtés des Palestiniens de l’extérieur, aux États-Unis ou en Europe. Ceux-ci ne sont jamais montrés dans les grands médias, mais ils existent bel et bien. L’on pourrait aussi évoquer l’œuvre courageuse de nombreux intellectuels israéliens ou de citoyens de confession juive d’États occidentaux dénonçant sans cesse les pratiques violentes de l’État d’Israël à l’encontre des Palestiniens et contestant le narratif officiel du gouvernement et des gouvernements occidentaux qui le soutiennent avec empressement.
La nouvelle révolte palestinienne qui se lève contre la décision du président américain sera malheureusement encore une fois réprimée dans le sang par l’armée israélienne. C’est hélas le prix à payer pour faire tomber l’apartheid israélien.
Georges CORM Samedi 09 décembre 2017
Ancien ministre des Finances (1998-2000), professeur à l’institut des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph. Dernier ouvrage : « La nouvelle question d’Orient » (La Découverte).
OLJ