Daniel Meier, ingénieur de recherche au CNRS et spécialiste du Moyen-Orient, livre son analyse du contexte dans lequel est relancée la proposition d’un référendum sur l’indépendance du Kurdistan irakien.
Le principal dirigeant du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a appelé hier à la tenue d’un référendum sur l’indépendance sur fond de crise financière et institutionnelle et de tension politique avec le gouvernement de Bagdad. Pourquoi relancer cette proposition dans un contexte aussi critique ?
D’un côté, c’est une vieille soupe que Barzani réchauffe régulièrement pour réactiver sa légitimité populaire et pour rappeler qu’au fond, il est le maître d’œuvre de ce cheminement vers l’horizon de l’indépendance, quand bien même les circonstances sont négatives. De l’autre, cette annonce témoigne de l’épuisement des ressources du gouvernement régional du Kurdistan (KRG) pour mobiliser la société autour d’un projet pour son développement. Les discours nationalistes et indépendantistes sont souvent l’apanage d’acteurs politiques ayant épuisé toute alternative en termes de production de légitimité. Cet appel prend également place dans une conjoncture de tension entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le KRG est aujourd’hui en difficulté puisque certains de ses membres entretiennent des rapports avec l’Iran, quand bien même M. Barzani a des liens avec la Turquie et qu’il est pris entre l’axe turco-saoudien et irano-russe. Le KRG se positionne en réaffirmant une sorte de volonté d’indépendance qui montre qu’il n’y a pas autre chose à faire, puisque le rapport de force régional le place sous la double pression de la Turquie et de l’Iran.
La dimension économique a toujours revêtu une importance primordiale dans la stratégie des acteurs politiques kurdes pour la reconnaissance de leurs aspirations nationalistes. Dans un Kurdistan menacé de faillite, quelles seraient les retombées sur le terrain du projet indépendantiste ?
La question économique est la raison pour laquelle l’indépendance, brandie comme un Graal ou comme une menace, n’est pas proclamée. Les dirigeants du KRG n’ont pas d’autonomie économique réelle pour devenir souverains, puisqu’ils dépendent des soutiens internationaux. On imagine que sans l’appui des États-Unis, le KRG pourrait retourner au chaos. Le Kurdistan irakien reste porté par les États-Unis avec un soutien militaire important apporté aux Peshmergas contre le groupe État islamique (EI) à l’été 2014. Le discours indépendantiste relève plus du wishfull thinking que de la réalité, même si les velléités sont grandes en raison des gains territoriaux, notamment la prise de contrôle de la province de Kirkouk.
Quelles conséquences pourrait avoir sur le terrain la réactivation du projet indépendantiste des Kurdes dans une configuration où ils contrôlent de fait 4 provinces de plus que les trois initialement reconnues et sur lesquelles Bagdad entend maintenir sa souveraineté ?
La conséquence pourrait être celle d’une radicalisation des crispations identitaires. D’un côté, les chiites voient les Kurdes comme les profiteurs ultimes du scénario de l’effondrement de l’ancien Irak ; de l’autre, les Kurdes tirent profit de l’immense difficulté de Bagdad dans un contexte de guerre. Cette attitude entraîne Bagdad à penser que c’est un coup de couteau dans le dos de la part d’Erbil, la lutte contre l’EI n’ayant pas permis de créer l’unité. Cette situation ne fera que compliquer le règlement autour des territoires riches en zones pétrolifères disputés entre deux entités irakiennes.
Source : OLJ
Le leader kurde Massoud Barzani. DR