LE PLUS. Dans une tribune publiée dans « Le Figaro », les ambassadeurs du Qatar et de Turquie en France sont revenus sur la crise syrienne. Et certains de leurs propos n’ont pas convaincu Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur tunisien. Selon lui, les deux hommes ont tenté de présenter la meilleure image possible de leurs pays respectifs, en énonçant certaines contre-vérités. Décryptage.
Amusé et médusé, j’ai lu les deux tribunes consacrées à Daech et à la crise syrienne, sous la signature des ambassadeurs du Qatar et de Turquie en France (« Le Figaro » du 5-6 décembre 2015).
Il ne manquait plus à ce duo symphonique que la partition saoudienne pour nous jouer cet hymne à l’universelle humanité, dénoncer la barbarie terroriste, fustiger l’extrémisme religieux, stigmatiser le « régime de Bachar » et afficher une totale adhésion aux valeurs des droits de l’homme qu’incarne la France.
Le Qatar et ses relations troublantes avec Daech
En essayant de présenter la meilleure image possible de leurs pays respectifs, ces deux diplomates sont parfaitement dans leur rôle : avec toutes les suspicions qui pèsent lourdement sur eux, le Qatar et la Turquie ont vraiment besoin d’être défendus et leur image mérite bien une bonne couche de cire. Mais laisser de telles contre-vérités sans réplique, c’est ajouter au cynisme des États l’outrecuidance des hommes.
« Certains répandent des allégations fausses et établissent un lien inique entre Qatar et terrorisme », s’indigne l’ambassadeur du Qatar en France.
Que son Excellence veuille bien me pardonner, mais son propos serait plus crédible et sa cause plus défendable si l’oligarchie qu’il représente n’était pas l’une des principale nourricière idéologique et financière de l’islamo-terrorisme dans le monde.
Il faudrait bien plus que cet article pour exposer et étayer toutes les preuves qui accablent le Qatar quant à ses relations constantes et troublantes avec Al-Qaïda autrefois et Daech aujourd’hui. Cette secte sanguinaire devenue « État » n’est pas un miracle d’Allah mais un Léviathan qui a échappé au contrôle de ses créateurs, comme Ben Laden avait échappé à celui de ses géniteurs saoudiens, pakistanais et américains pour saigner l’URSS en Afghanistan.
Le double langage d’Al-Jazeera
Jusqu’à ce jour, la tristement célèbre Al-Jazeera évoque Ben Laden comme un « martyr ». Parce que, pour cette télévision de propagande, il y a un discours à l’adresse des hordes islamistes et un autre pour les candides occidentaux, sa version arabophone n’appelle jamais les terroristes par leur nom mais par le sobriquet « ceux qu’on appelle terroristes ».
La duplicité, le double langage et la tromperie, telle est la stratégie d’Al-Jazeera et de l’oligarchie gazière qui la finance et l’abrite. Comme elle abrite les Talibans « modérés » coupables de crimes contre l’humanité. Comme elle abrite le vénérable cheikh Qaradaoui, qui appelait, dès les années 90, toutes les musulmanes d’Europe à porter le voile, qui a galvanisé des masses déjà fanatisées contre le Pape Benoit XVI en raison de sa conférence à Ratisbonne, qui a émis une fatwa contre les caricaturistes du Prophète, sans parler de son ignoble homélie dans laquelle il se réjouissait de l’extermination des juifs, « une œuvre qu’Hitler n’a pu mener jusqu’au bout et que les musulmans accompliront inchallah » !
Si les démangeaisons antisémites et fanatiques n’engagent que cet être inqualifiable, que le Qatar s’en désolidarise officiellement, mieux vaut tard que jamais, et lui interdise la parole venimeuses qui souffle sur les braises du choc des civilisations.
Le Qatar n’a jamais été victime d’un acte islamo-terroriste
« Pour nous, ceux qui se font appeler État islamique sont tout sauf des représentants de l’islam », insiste son Excellence.
Il a sans doute raison, mais qu’il nous explique alors la différence entre la casuistique nauséabonde et guerrière de Qaradaoui et la logorrhée abjecte et meurtrière du calife autoproclamé de « l’État islamique ».
Pas plus que Daech, Qaradaoui ne représente l’islam quiétiste des millions de musulmans dans le monde et notamment en France. Bien au contraire, ce grand pharisien des Frères musulmans que le Qatar a voulu imposer comme pape « éclairé » de l’islam sunnite, en constitue la subversion la plus périlleuse tout aussi bien pour le monde arabe que pour l’Occident déchristianisé et en islamisation graduelle depuis près de 30 ans.
« Le peuple du Qatar, lui aussi, vit avec cette même menace. Il est dans la ligne de mire des mêmes groupes terroristes », s’alarme l’ambassadeur qatari.
Si tel était le cas, ce serait plutôt un bon signe et la preuve qu’avec son jeune émir, ce pays a effectivement changé de stratégie. Car l’histoire est têtue : depuis sa naissance miraculeuse, jamais le Qatar n’a été victime d’un acte islamo-terroriste, à l’instar de l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie, du Sénégal, de la Mauritanie, de la Somalie, de la Chine, de la Russie, du Canada, de l’Espagne, de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de la France, de l’Iran et même de l’Arabie Saoudite.
À moins de considérer que c’est Allah lui-même qui veille sur la sécurité du Qatar, une telle immunité est plutôt troublante !
De nombreuses interrogations
Si « aucune relation n’est plus profonde ni plus personnelle pour le Qatar que celle qu’il entretient avec la France », que son Excellence nous explique alors pourquoi son pays a-t-il violemment condamné l’intervention française au Mali pour éradiquer le fléau islamo-terroriste dans ce pays ? Et pourquoi persiste t-il aujourd’hui à vouloir dissuader la France ainsi que ses alliés d’intervenir en Libye pour empêcher ou du moins contenir l’implantation déjà bien avancée de Daech dans ce pays qui a été détruit par Sarkozy sous le prétexte d’éviter un bain de sang à Benghazi ?
Toutes ces interrogations valent pour la Turquie, dont l’ambassadeur en France ne craint pas le ridicule lorsqu’il attribue la « progression fulgurante » de Daech au « régime de Damas ».
Ce régime, accusé de tous les péchés d’Israël, subit et tient tête depuis bientôt cinq ans à la plus grande invasion islamo-terroriste sans précédent dans l’histoire contemporaine, et n’eut été la résistance héroïque du peuple syrien et la détermination russe, la bannière noire de Daech serait aujourd’hui plantée au cœur de Damas.
L’abjection daechienne ne profite sûrement pas à la Syrie mais à ceux qui achètent le pétrole irakien et syrien que « l’État islamique » pompe et brade frauduleusement à l’instar des pirates ou barbaresques ottomans qui sévissaient jadis et naguère en Méditerranée.
Le seul fait de glisser que le PKK « est aussi dangereux et sanguinaire que Daech » est hautement significatif et indique clairement les buts de guerre recherchés par l’islamiste « modéré » et Frère musulman avéré, Recep Tayyip Erdogan. C’est plutôt grâce aux vaillants combattants kurdes que la métastase du cancer daechien a été stoppée.
Qui plus est, en révélant que c’est la Turquie erdoganienne qui fournit à Daech la connexion Internet, la presse allemande (« Spiegel »), suivie par certains médias britannique et française, s’adonne probablement à la déstabilisation du bon modèle démocratique turc !
Ces ambassadeurs devraient avoir la décence de se taire
Avant d’exiger le départ de Bachar pour que les Frères musulmans gouvernent ce dernier État séculier de la région où les chrétiens sont encore protégés comme leurs coreligionnaires en Egypte et au Liban, ce bon modèle turc devrait reconnaître le génocide arménien et quitter les territoires chypriotes qu’ils occupent depuis plus de 40 ans.
Nos démocrates Turcs, toujours aspirant à rejoindre l’Union européenne pour contribuer à son islamisation graduelle conformément à la stratégie des islamistes, devraient au moins laisser les deux frères ennemis, le chypriote-grec et le chypriote-turc, s’entendre et permettre ainsi la réunification de l’État chypriote sur lequel la Turquie a voulu étendre son hégémonie néo-ottomane…
Faute de reconnaître la responsabilité de leurs gouvernements respectifs dans la tragédie syrienne et de renoncer définitivement à leur soutien idéologique et logistique aux islamo-terroristes, les ambassadeurs du Qatar et de la Turquie en France devraient au moins avoir la décence de se taire, car les Français, qui ne sont pas tous des lecteurs du bienveillant et visiblement quatarophile « Le Figaro », ont fini par comprendre qui partage réellement leurs valeurs et idéaux et qui cherche à les subvertir et à les détruire au nom d’un islamisme totalitaire et nécrosé.
Article repris avec l’autorisation de l’auteur
Mezri Haddad est philosophe et ancien ambassadeur