Muhannad Halabi. Retenez bien ce nom. Il entrera dans l’histoire tourmentée de la Palestine occupée comme celui qui aura signé, par sa mort, le déclenchement de la troisième intifada depuis l’occupation israélienne de la totalité de la Palestine en juin 1967. Un soulèvement que tout le monde attendait et qui n’a que trop tardé.
À 19 ans, ce jeune Palestinien était né quelques années après la signature des accords d’Oslo en 1993, qui auraient dû ouvrir la voie à la création d’un État palestinien indépendant sur moins de 22 % de la Palestine mandataire. De sa courte vie, il n’a connu qu’une succession de déceptions et d’humiliations. Il a entendu le discours de Mahmoud Abbas, l’un des signataires de ces accords lors de son discours du 30 septembre devant l’Assemblée générale de l’Onu : « Tous les espoirs ont avorté depuis les accords de 1993, s’est-il écrié. Nous déclarons dès lors que nous ne pouvons continuer à être engagés par ces accords et qu’Israël doit assumer toutes ses responsabilités comme puissance occupante, parce que le statu quo ne peut continuer. »
Totale impunité
Le président de l’Autorité palestinienne a, certes, fait le constat d’un cuisant échec du processus de paix, mais sans dire quelles en sont les conséquences pratiques. Et cela au moment où l’occupant israélien a laissé des colons juifs fanatisés tenter de s’emparer de l’esplanade des Mosquées d’Al-Aqsa et interdit l’accès à ces lieux à de jeunes Palestiniens. Muhannad Halabi écrit alors sur son compte Facebook : « Joli discours, Monsieur le Président, mais nous ne reconnaissons pas Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Nous savons seulement que Jérusalem est une et indivisible, et que chacune de ses parties est sacrée. Excusez-moi, Monsieur le Président, mais ce qui arrive aux femmes d’Al-Aqsa et à Al-Aqsa même ne s’arrêtera pas avec des mesures pacifiques. Nous n’avons pas été élevés pour être humiliés. »
Quelques jours plus tard, il poignarde à mort deux juifs extrémistes dans la vieille ville arabe de Jérusalem avant d’être abattu par des policiers israéliens. Ce geste de désespoir individuel, depuis, se répète un peu partout en Israël et dans les territoires palestiniens occupés, rappelant au gouvernement israélien, à l’Autorité palestinienne et à la « communauté internationale » que le statu quo actuel ne saurait durer éternellement et qu’un volcan couve sous l’occupation.
En acceptant en 1993 de s’engager dans un processus de paix aux lendemains incertains, l’OLP a pris le risque de perpétuer l’occupation. Comme bien d’autres analystes avisés, le professeur Edward Saïd, une grande conscience de la cause palestinienne, aujourd’hui décédé, avait pourtant mis en garde contre cette supercherie. Dans son livre, Le Mirage de la paix, il assimilait les accords d’Oslo à un « consentement palestinien officiel à la poursuite de l’occupation ». Il ne s’était pas trompé. Non seulement l’État palestinien indépendant apparaît comme une chimère, malgré quelques « victoires » diplomatiques, mais la mal nommée Autorité palestinienne est une coquille vide. Une feuille de vigne qui cache l’occupation israélienne dans toute sa laideur : transformation des territoires palestiniens, y compris Gaza, en une prison à ciel ouverte. La colonisation bat son plein : 600 000 colons établis sur l’ensemble de la Cisjordanie. Les check-points sont partout, entourés d’un mur d’apartheid. Et les arrestations massives, les destructions de maisons, l’arrachage des oliviers, les confiscations de terres ne s’arrêtent jamais…
Tout cela dans l’impunité totale.
Malgré ce constat d’échec, Mahmoud Abbas continue à croire aux vertus d’un processus de paix qui ressemble étrangement à une marche accélérée vers la confrontation permanente et la guerre.
De son côté, le gouvernement de Netanyahou, plutôt que de prendre acte du fiasco de sa stratégie de tension permanente et de poursuite de la colonisation, continue à jeter de l’huile sur le feu. Il encourage les Israéliens, face au ras-le-bol de la jeunesse palestinienne que les médias israéliens appellent « l’intifada des couteaux », à se faire justice eux-mêmes. Dernière « trouvaille » : à la veille d’une visite en Allemagne, le premier ministre israélien est même allé jusqu’à accuser les Palestiniens, et non les nazis, d’être responsables de la tentative d’extermination des juifs d’Europe. Selon lui, c’est le grand mufti de Jérusalem, Hadj Amine al-Husseini, qui aurait inspiré pendant la Seconde Guerre mondiale l’idée de la « solution finale » à Adolf Hitler, lors d’une rencontre à Berlin en 1941.
Jusqu’où ira Netanyahou, et tout ce qu’il représente comme projet nationaliste et fasciste, dans son délire ?
En réalité, il ne s’agit pas d’un délire. Le premier ministre est le produit – cela vaut la peine d’être souligné – du sionisme révisionniste fascisant et expansionniste qui trouve son origine dans le courant nationaliste fascisant incarné par Vladimir Jabotinsky. Dans la première partie du XXe siècle, Jabotinsky appelait à la création du Grand Israël englobant non seulement la Palestine historique mais aussi la Jordanie. Ce courant, qui fut à l’origine de la création du Likoud – aujourd’hui dirigé par Netanyahou –, n’a pas eu de scrupules à collaborer avec les nazis, pour à la fois combattre la Grande-Bretagne et expulser les Arabes de leur terre ancestrale pour y créer l’État d’Israël. La fin justifie tous les moyens.
Dans un passionnant livre d’entretiens, le professeur Yechayahou Leibovitz (La Mauvaise Conscience d’Israël – Entretiens avec Joseph Algazy) lève le voilà sur les relations entre ce courant sioniste et l’Allemagne nazie. « Il ne faut pas oublier que les armées du maréchal allemand Erwin Rommel s’étaient avancées jusqu’à El-Alamein, à l’ouest d’Alexandrie. Cela me rappelle que le Lehi, l’organisation juive extrémiste – dirigée par Abraham Stern, aliasYaïr, Yitzhak Shamir et d’autres – avait offert ses services à l’Allemagne nazie. Stern et ses acolytes étaient prêts à aider Hitler. En fait, ils ne s’embarrassaient guère de ce que représentait Hitler s’il s’engageait à libérer Eretz Israël de la domination britannique et à créer l’État juif. Voilà jusqu’où peut entraîner le nationalisme. Sur ce point, il n’y a pas le moindre doute : Abraham Stern a bel et bien envoyé ses émissaires rencontrer les représentants de l’Allemagne nazie et leur proposer une alliance. […] Vous saisissez : un juif a cherché à collaborer avec Hitler ! Pis encore, ce juif est considéré comme un héros national en Israël ! En Israël, où un musée lui est consacré, où des rues portent son nom et où, chaque année, on célèbre son souvenir dans le cadre d’une cérémonie officielle à laquelle participe Shamir, y compris en tant que premier ministre. Voilà à quoi on arrive lorsque des hommes érigent le nationalisme en valeur suprême. Je ne sais pas comment qualifier ce nationalisme : méchanceté bête ou bien bêtise méchante ? »
Stratégie criminelle
Peut-on, dans ce cas, considérer la déclaration de Netanyahou disculpant Hitler de l’extermination des juifs comme un simple lapsus ? C’est fort improbable. Le chef du Likoud a de la suite dans les idées : l’ennemi, pour lui, c’est le Palestinien, qu’il soit modéré, pacifiste ou résistant. Il utilise tous les moyens pour empêcher la création d’un État palestinien indépendant, dont il s’acharne à saper les fondations avant même qu’il ne voie le jour. En poursuivant la répression, la colonisation rampante et en exigeant que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un État juif, il multiplie les obstacles et les crimes, repousse à l’infini la perspective d’une paix durable en Palestine. Avec le consentement et la complicité des pays occidentaux qui étaient, il est toujours utile de le rappeler, les vrais concepteurs du projet sioniste colonial. Un projet qui, selon le fondateur du sionisme, Theodor Herzl, dans son livre L’État des juifs paru en 1896, sera « pour l’Europe, un morceau de rempart contre l’Asie : nous serions la sentinelle avancée de la civilisation moderne contre la barbarie ».
120 ans après, cette « sentinelle avancée » de l’Occident s’avère contre-productive. La poursuite d’une telle stratégie est aussi criminelle envers les Palestiniens que suicidaire envers les juifs. Mais aussi contre ceux qui, en Europe et aux États-Unis, continuent à lui assurer la totale impunité.
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