Où va la Turquie dans son offensive contre Da’ech et le PKK ? Jusqu’à quand l’alliance turco-américaine peut-elle tenir au vu des contradictions qu’elle supporte ? Plus que jamais, les inconnues qui subsistent dans l’équation turque soulèvent de sérieuses inquiétudes quant aux répercussions régionales de ces conflits.
La situation géopolitique actuelle qui met en confrontation directe une série d’acteurs étatiques, politiques et terroristes aussi divers et opposés que la Turquie, le PKK, le PYD, l’Iran, l’Irak, Da’ech, le Front al-Nosra, l’Arabie Saoudite et les États-Unis, est d’une complexité étonnante qui rend fébrile toute sorte de pronostic sur l’avenir à court terme de ce conflit multidimensionnel.
Néanmoins, il semble intéressant de se pencher sur la position turque dans ce vaste échiquier. La Turquie poursuit actuellement deux objectifs contradictoires : évincer le PKK de ses frontières extérieures en empêchant son ancrage en Syrie via le PYD et dans les montagnes du nord-ouest irakien. Mais parallèlement, le pouvoir turc réclame depuis longtemps l’instauration d’une zone de sécurité sur le territoire syrien d’une superficie de 60 km le long de la frontière et de 23 km vers le sud selon les estimations de l’ancien ambassadeur américain en Syrie Frederic Hof, cité par Le Figaro.
Une zone qui lui permette de desserrer l’étau des réfugiés syriens dont l’afflux est incessant. La Turquie est déjà l’État qui accueille le plus grand nombre de réfugiés au monde. Cette requête turque a fait l’objet d’un accord avec les Américains qui pour leur part demandaient à leurs homologues turcs l’autorisation d’utiliser la base d’Incirlik pour leurs opérations contre Da’ech. Ankara louvoyait depuis longtemps sur cette demande après l’échec d’une intervention militaire américaine plus musclée exigée contre Assad. Finalement, le courant est passé entre Washington et Ankara.
Réduire l’influence du PKK en Syrie
Les observateurs militaires sont pourtant divisés sur la solidité de cet accord. En effet, l’alliance objective entre le pouvoir turc et Da’ech incarné par une perméabilité de la frontière turque accordée au passage des djihadistes et de leurs armes, par le fait que la Turquie est devenue une base arrière pour l’organisation terroriste, mais aussi par des négociations d’achats de pétrole, est remise en cause.
Cette entente cordiale a permis à la Turquie de réduire ou de retarder l’influence militaire du PKK en Syrie, les seules forces militaires combattant au sol les milices de Da’ech. « Abou Sayyaf (…) était l’un des principaux dirigeants de l’État islamique et en quelque sorte son ministre des Finances (…) Il était en relation directe avec des officiels turcs, explique le Guardian. Abou Sayyaf avait notamment la responsabilité de la vente pour Daech sur le marché noir de pétrole et du gaz, ce qui représentait des revenus pouvant atteindre 10 millions de dollars par jour », écrit Eric Léser dans les colonnes de Slate.
La porosité des organisations salafistes
À présent donc, la Turquie semble plutôt s’appuyer depuis l’attentat de Suruç exclusivement sur l’alliance effective et au grand jour avec Jaish-al-Fetah, qui rassemble les mouvements salafistes soutenus par l’Arabie saoudite et la Turquie, à savoir le Front al Nosra et Ahrar al-Sham, dans son projet de renversement du gouvernement Assad. La prise de contrôle de la province d’Idlib par cette nouvelle coalition est le signe de la montée en puissance de Jaish-al-Fetah.
Les récents bombardements de l’aviation turque contre des positions syriennes de Da’ech augurent-ils vraiment d’un changement de tactique militaire des Turcs ? Nul ne peut l’affirmer à cet instant précis. D’autant que la porosité entre les organisations salafistes de Jaish-al-Fetah et Da’ech est réelle. Une prise de contrôle conjointe de la Syrie entre ces deux tendances n’est pas à exclure. De quelque côté que ce soit, l’alliance turque avec les organisations salafistes armées demeure une prise de risque maximale dans la mesure où aucun de ces mouvements n’est véritablement sous contrôle.
L’avenir de la Turquie
Autre pomme de discorde : la volonté inflexible du pouvoir turc de détruire l’enracinement territorial des organisations kurdes YPG (PYD) et PKK en Syrie et en Irak, des organisations alliées de Washington. La presse occidentale comprend mal cette hiérarchie turque plus hostile au PKK qu’à Da’ech. C’est pourtant simple : la Turquie est un pays qui compte 13 millions de kurdes sur une population totale de 75 millions d’habitants. Un pays qui a vécu une guerre civile qui a provoqué la mort de 40 000 personnes.
La hantise d’un sécessionnisme qui aboutirait à la création d’un vaste État kurde est une sérieuse menace pour l’intégrité territoriale de la Turquie. En dépit du renoncement à la création d’un État kurde par le PKK, la menace est dans tous les esprits. Le risque politique représenté par Da’ech pour la Turquie semble aux autorités turques moins lourd et donc secondaire.
Reste à trouver la réponse à ces questions : la campagne sur deux fronts (PKK et Da’ech) menée par la Turquie est-elle viable à moyen terme ? Et quels sont les risques d’une reprise de la guerre civile avec le PKK en Turquie ? Des réponses dont dépendra l’avenir des Turcs.
Source : Zaman France
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