Programmer, planifier, réaliser et évaluer les résultats obtenus. Il y a bien longtemps que la Côte d’Ivoire avait cessé d’intégrer ces schémas de fonctionnement de l’État moderne. Marius Komoué, transitaire à Abidjan résume la situation : « Avant, on ne savait même pas où on allait. Le pays évoluait sans tête, ou avec plusieurs têtes, et on allait un peu dans tous les sens. Aujourd’hui, on sait au moins où on va. Il y a un cap qui est fixé. »
Le cap en question, c’est l’émergence économique du pays fixé par Alassane Ouattara. Avec pour horizon 2020. Le schéma directeur pour y arriver existe aussi : c’est le Plan national de développement (PND), dont la première phase s’étend de 2012 à 2015. Là aussi, des objectifs globaux et intermédiaires sont clairement définis. Le pays doit atteindre 10 % de croissance dès 2014. Pour que ce plan ne dorme pas dans les tiroirs, Alassane Ouattara a pris les devants, enfilant des habits de VRP. Le 4 décembre 2012, il réunissait à Paris des bailleurs de fonds institutionnels et privés pour vendre son PND et mobiliser des financements extérieurs. En deux journées de travail, le chef de l’État ivoirien a obtenu des promesses de financement de 4 000 milliards de francs CFA sur les 11 000 nécessaires pour donner corps aux différents projets d’investissements multisectoriels programmés.
Le style Ouattara est tout en rupture avec ce à quoi les Ivoiriens étaient habitués. Alassane Ouattara fonctionne sur le modèle hybride de l’hyper président et du super chef d’orchestre. Il fait confiance à ses collaborateurs, délègue beaucoup, mais n’est jamais loin des dossiers. Ayant hérité d’un pays au bord de l’explosion, il se devait à la fois de relever un État et des institutions effondrés, de réconcilier une société laminée par des années de dérives ethno-tribalistes et de répondre aux besoins économiques et sociaux. Difficile, dans une telle configuration, de ne pas être sur tous les fronts en même temps. D’où l’image de président hyperactif voulant « tout faire lui-même » qui lui a été collée par ses compatriotes.
Même ses adversaires politiques le reconnaissent : le président est un travailleur quasiment infatigable. Il sait déléguer, mais n’hésite pas à suivre l’évolution des choses ; il fait confiance, mais sait aussi sanctionner lorsqu’il estime celle-ci trahie. Plusieurs hauts cadres publics exerçant des fonctions de directeurs financiers ont ainsi été relevés de leurs fonctions. Lorsqu’un de ses ministres, parmi ses plus proches, s’est retrouvé cité dans une affaire sombre (dévoilée après son entrée au gouvernement), le président s’en est aussitôt séparé. L’intéressé, laissé libre pour préparer sa défense devant la justice, a été par la suite mis hors de cause. Mais il n’a pas retrouvé son poste au gouvernement.
Les adversaires politiques du président estiment, toutefois, que le chef de l’État n’en fait pas assez pour sanctionner les personnalités sur lesquelles pèsent de fortes présomptions de détournement de deniers publics ou de mauvaise gestion. L’on reproche aussi au chef la pratique généralisée des marchés de gré à gré qui alimente toutes sortes de suspicions. Ouattara la justifie par la nécessité d’aller vite sur certains dossiers requérant des réponses urgentes, qu’un respect scrupuleux de longues procédures d’attribution de marchés par appels d’offres aurait retardées.
Si la corruption et la mauvaise gestion n’ont pas disparu, les classements récents de la Côte d’Ivoire par des organismes renommés comme Doing Business de la Banque mondiale indiquent une tendance à la baisse. Le pays est passé du 177e rang sur 187 pays classés dans Doing Business de février 2013 au 167e sur 189 pays, dans le dernier classement d’octobre. L’indice de perception de la corruption de Transparency International a, lui aussi, baissé.
Revendiquant le libéralisme économique, Ouattara est toutefois loin d’être un dogmatique. Arrivé aux affaires dans des circonstances particulières (après une guerre de trois mois livrée par ses partisans pour obliger Laurent Gbagbo, mauvais perdant des élections, à quitter le pouvoir auquel il s’accrochait), dans un pays rempli d’urgences sociales, le président a dû, par moments, revoir ses stratégies. Après avoir instauré la gratuité des soins de santé au lendemain de son accession au pouvoir, il a dû abandonner cette pratique dès qu’elle a commencé à montrer ses limites. Alors qu’il avait prévu, dans son programme initial, de construire au moins cinq universités à l’intérieur du pays, il a dû retarder ce chantier, la réhabilitation de la principale université du pays, celle d’Abidjan-Cocody, ayant absorbé plus de financements que prévu en raison de l’état de détérioration avancée des installations.
S’il n’accepte pas sans rechigner les attaques sur sa gestion qui lui paraissent infondées, le chef de l’État sait aussi tirer rapidement les leçons des politiques ou des stratégies qui ne marchent pas. Il apparaissait convaincu, au début de son mandat, que la relance économique contribuerait rapidement à détendre le climat politique et social. Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis. Le président s’est davantage investi dans l’apaisement, multipliant des visites à l’intérieur, de même que les mesures de libération conditionnelle des pontes de l’ancien régime. Considéré autrefois comme un économiste distant plus préoccupé par les chiffres que par les hommes, Ouattara a appris à rectifier le tir. Il sait que, autant – sinon davantage – que ses résultats économiques, c’est le lien affectif qu’il sera parvenu à créer avec son peuple qui fera la différence dans deux ans.
De plus en plus politique, Ouattara reste malgré tout inflexible sur certains dossiers. Ce qui provoque, parfois, l’ire de ses alliés, tout comme le mécontentement d’une frange de ses partisans. Quand il a eu la conviction qu’il lui fallait un nouveau premier ministre disposant d’un profil plus économique pour conduire l’action gouvernementale, il n’a pas hésité à se séparer de Jeannot Kouadio-Ahoussou, qui lui avait été imposé par son allié Konan Bédié. Quand la réforme de la loi sur la famille a soulevé la colère de certains députés des partis alliés, il a congédié le gouvernement. Décidé à lutter contre les causes profondes de la crise ivoirienne, les questions de nationalité et de foncier rural, il est resté inflexible sur les amendements à effectuer. Ce qui lui a valu de nombreux reproches de ses compatriotes estimant qu’il se comportait de façon cavalière avec ses alliés. De même, quand le président s’est rendu compte que la relance du secteur minier – sur lequel il compte pour gagner de nouveaux points de croissance pour les prochaines années – tardait à se faire, il a dessaisi sans ménagement l’un de ses fidèles, Adama Toungara, du portefeuille des Mines. L’occasion d’un réaménagement surprise du gouvernement.
À l’inverse de ses prédécesseurs plutôt timides en politique étrangère, Ouattara a relancé la diplomatie de son pays. Il l’a réorientée vers des relations de bon voisinage et d’affirmation du rôle leader de la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest, mais aussi vers la diplomatie économique, à la recherche des investisseurs potentiels. Ses fréquents voyages à travers le monde, pour décider les milieux d’affaires à investir en Côte d’Ivoire, lui ont valu le surnom de « Magellan ». Alors que ses amitiés dans le monde économique français sont connues, et que l’implication décisive de la France dans le dénouement de la crise postélectorale a fait redouter une stratégie économique à la remorque de l’Hexagone, Ouattara a plutôt diversifié les relations. Les investissements de la Chine et d’autres pays émergents se sont accrus davantage que par le passé.
Ses compatriotes ne sont certes pas tous satisfaits de sa gouvernance. Mais ils sont nombreux à reconnaître que le pays dispose désormais, avec Ouattara, d’un leadership et d’une vision. Ce leadership incontestable, les Ivoiriens aimeraient qu’il s’oriente plus vers le social et la normalisation définitive de la situation sécuritaire du pays, encore marquée par l’indiscipline d’éléments de la nouvelle armée.