Malgré un Parlement dominé par ses adversaires, le président Martelly, élu il y a neuf mois, continue d’afficher sa détermination à sortir le pays de l’ornière. Quitte à promettre beaucoup. Trop ?
Le président Michel Martelly ne se paierait-il que de mots ? Ses adversaires n’ont pas manqué d’en faire la remarque après le discours qu’il a prononcé aux Gonaïves, cité de la naissance de l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 2012. Une fois encore, ce sont les projets qui ont dominé son propos et, sens de la formule oblige, les fameux « quatre E » : Emploi, Environnement, État de droit et Éducation. Ces propositions ne constituent cependant pas un agenda officiel, même si, dans son adresse à la nation du 12 octobre dernier, son premier ministre Gary Conille en avait fait un exposé précis et circonstancié. À ce titre, 2012 devrait constituer une année charnière.
Il est encore très tôt pour tirer un bilan des neuf premiers mois de présidence Martelly, surtout parce que le régime politique haïtien est parlementaire et non présidentiel. Par conséquent, dans la mesure où, par deux fois, le premier ministre choisi pour conduire le gouvernement a été retoqué par le Parlement, aucune décision importante concernant la gestion du changement promis n’a pu être prise. Qu’à cela ne tienne, Martelly s’emploie avec beaucoup d’énergie et de sens politique à se maintenir sur tous les fronts. Il avait su, durant sa campagne, gagner le cœur de la population haïtienne en tournant en dérision, comme autrefois dans ses chansons, les hommes politiques englués dans leurs querelles intestines et n’ayant à leur actif qu’un immobilisme institué en mode de gouvernance. Son style inimitable, ses talents de tribun et des promesses particulièrement populaires, comme la lutte contre le chômage, avaient alors servi de points de ralliement pour une population lassée des difficultés et prompte à transformer son admiration pour l’artiste en engouement pour le candidat.
Mais il est toujours délicat pour un président d’être porté à la tête de l’État par un vote de rejet, fut-il d’une classe politique aux résultats désespérément absents. Si les Haïtiens ont la mémoire courte, Michel Martelly se souvient que le précédent « candidat du peuple », Jean-Bertrand Aristide, n’a à son actif qu’un désastreux bilan, et que son successeur René Préval n’est guère mieux loti. Il saisit donc toutes les occasions pour appeler ses électeurs à la fois à la patience et à la mobilisation.
Il l’a également clamé à la face de la communauté internationale en montant, le 29 septembre 2011 à New York, à la tribune de l’assemblée générale des Nations unies. « J’ai pour ambition de redorer l’image de marque d’Haïti, a-t-il expliqué. C’en est fini de nous adresser au monde uniquement pour mendier de l’argent. » Effectivement, il est urgent d’en finir avec un certain nombre de mauvaises habitudes et avec quelques idées reçues, celles qui associent immanquablement cette moitié d’île avec misère, choléra et surtout insécurité. Au personnel des organisations internationales à qui l’on conseille de venir « sans famille » en Haïti pour cause de danger permanent, Martelly répond donc : « Port-au-Prince n’est pas une ville plus dangereuse que New York ou Chicago. » Et le fait est que nul Occidental n’aurait l’idée de se promener sans crainte dans le Bronx new-yorkais ; pourquoi vouloir le faire à Cité Soleil ?
Certes, il n’est pas encore possible pour Haïti de se passer d’une force comme la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah), qui assure de multiples tâches de formation, de sécurisation et de génie civil. En dépit de son impopularité croissante – elle est à l’origine de l’épidémie de choléra et s’est rendue coupable d’affaires de mœurs relevant du tribunal pénal –, elle est encore indispensable. Le projet de réforme de la police nationale et la prochaine création d’une armée nationale, qui a été approuvée par la Commission d’État ad hoc, devraient permettre à terme de mettre fin au mandat des Casques bleus.
En matière sociale, la réalisation la plus visible concerne l’éducation, l’administration ayant permis l’accès à l’école de quelque 903 000 enfants à la rentrée d’octobre 2011, conformément à la promesse de rendre l’école laïque et républicaine gratuite. En matière économique, la mise en place d’un guichet unique et d’une procédure administrative raccourcie pour la création d’entreprises constitue la première mesure incitative pour les investisseurs privés. Côté agriculture, fer de lance du redéveloppement d’Haïti, des protocoles d’accord sont désormais en place entre l’administration et les entrepreneurs privés pour la mise à disposition des moyens mécaniques permettant l’intensification des cultures. Les nouveaux produits destinés à l’exportation, comme le café, le cacao, les fruits et légumes « biologiques » telles la mangue ou la papaye, constituent des niches stratégiques de première importance. Les expositions, foires et marchés internationaux destinés à la promotion de ces cultures foisonnent dans le pays et sont autant d’incitation à la production et à la commercialisation.
Last but not least, en matière de politique intérieure, les prochaines élections municipales et le renouvellement prévu du tiers du Sénat devraient permettre au président Martelly de tirer bénéfice de sa popularité. Son parti, Repons Peyizan, qui ne possède actuellement que trois députés à l’Assemblée nationale, pourrait enfin être représenté à la Chambre haute et dans les instances locales.
Michel Martelly a beaucoup promis. Trop, peut-être ? Sa volonté, en dépit de l’adversité non négligeable que représente un Parlement largement dominé par ses opposants politiques, reste intacte. Mais le gouvernement saura-t-il le suivre ? Les compétences seront-elles au rendez-vous ? La diaspora cultivée et bien formée ne se presse pas pour rentrer au pays. Trop prudente, trop bien installée à l’étranger, trop peu confiante en l’avenir… Le président a pourtant su se faire entendre de la communauté internationale d’une façon différente de ses prédécesseurs, notamment en composant habilement entre demandes répétées et affirmation de la souveraineté du pays. Il sait aussi flatter le sentiment identitaire de ses concitoyens, jaloux de leur indépendance plus que bicentenaire et conscients de représenter une certaine forme de résistance à l’hégémonie américano-européenne, en les incitant à secouer une apathie née de décennies de déception et de misère.
Aux Nations unies, il a dénoncé le fait qu’Haïti n’a reçu que quatre des dix milliards de dollars d’aide promise pour la reconstruction, le reste ayant disparu dans les nombreux rouages des organisations internationales ou attribué à des pays moins « séduisants » pour les donateurs. Une manière de justifier les quelque 600 000 personnes qui restent à reloger ailleurs que sous des tentes, les routes toujours aussi défoncées et les mille et un travaux à effectuer pour que le pays gagne les seize petits points qui le séparent de la catégorie des pays à taux de développement humain « moyen (1) ».
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(1) Indice Pnud 2011.