La nation grecque est le produit d’une grande recomposition iconographique qui a transformé de fond en comble les territorialités dans un immense espace, celui de l’Empire ottoman. A l’évidence, la Grèce a encore beaucoup à apporter à l’Occident.
Pourquoi cette ambivalence de la relation entre la Grèce et l’Occident ? Que retenir de ce décalage entre passion naïve envers une civilisation grecque « berceau de la démocratie » et mépris et colère envers les dérives de cet Etat balkanique orthodoxe encore très marqué par son passé ottoman ? Décodant la nature de ce décalage entre représentation et réalité, ce brillant essai de géopolitique met en évidence la racine du mal grec ainsi que l’inefficacité des réponses apportées aux crises du passé comme celles du présent.
Dans cette stimulante synthèse truffée de références historiques et intellectuelles, l’universitaire franco grec Georges Prévélakis (crétois d’origine) décrypte le « néohellénisme » dans ses multiples atouts économiques et faiblesses structurelles afin de mieux saisir les contours de l’identité grecque actuelle. Pour comprendre la crise, encore faut-il prendre en compte les structures et comportements enracinés dans le passé et les espaces grecs. Aux yeux des Grecs, l’hellénisme est un moyen de sortir de l’étroitesse du cadre étatique pour renouer avec la gloire du passé et projeter la puissance en dehors des limites du territoire national et de la citoyenneté. Si l’Etat grec n’a cessé d’exploiter le fantasme de la continuité nationale et linguistique depuis l’Antiquité, c’est qu’il est profondément structuré par l’esprit de rente. Un état d’esprit et de dépendance à l’extérieur qui s’est poursuit jusqu’à nos jours et nous en dit beaucoup sur les failles du développement de cet Etat nation aux contrastes saisissants et à la position géostratégique enviable.
Aux yeux de Prévélakis le néohellénisme ne coïncide pas avec la nation grecque. Certes, celui-ci a développé un Etat territorial, recréé des réseaux diasporiques et maritimes, mais les schémas théoriques occidentaux ne peuvent ici s’appliquer pour définir la singularité du concept. Aussi reprend-il à son compte le concept d’ « iconographie » introduit en géographie par Jean Gottman afin d’analyser les métamorphoses du néohellénisme. C’est là tout l’intérêt de sa démarche : la nation grecque est le produit d’une grande recomposition iconographique qui a transformé de fond en comble les territorialités dans un immense espace, celui de l’Empire ottoman. A l’évidence, la Grèce a encore beaucoup à apporter à l’Occident.
Georges Prévélakis, Qui sont les Grecs ? Une identité en crise, CNRS éditions, 184p. 20€