Samedi 18 juin 2005, plus de 65 000 supporteurs s’entassent dans les tribunes du stade Léopold-Sédar-Senghor à Dakar. Les Lions locaux, privés de Khalilou Fadiga et de Habib Beye, blessés, veulent bouffer… les Éperviers togolais. Henri Camara, El Hadji Diouf et Mamadou Niang sont la force de frappe d’une équipe qui, d’entrée, baisse curieusement la garde et encaisse un but obtenu par le Togolais Olufabe Adeknmi : 0-1. Les Lions réagissent vite. Niang, de la tête, reprend un service de Diouf : 1-1. Henri Camara croise un tir qui fait mouche : 2-1. Il manque, ainsi que Diouf, deux occasions de « tuer le match ».
Après la pause, les Lions perdent pied. Les lignes s’étirent. Le milieu « rame ». Les avants se font oublier et les défenseurs, déstabilisés par l’intelligence manœuvrière du Togolais Sheyi Adebayor, plient et finissent par rompre à vingt minutes de la fin : 2-2. L’entraîneur Guy Stephan fait donner les réservistes. Peine perdue. Les Sénégalais laissent filer deux points et sont distancés par leurs rivaux dans la course au Mondial 2006. La foule est abasourdie. C’est la grande désillusion. Le quotidien Le Soleil titrera : « Auf Wiedersehen Deutschland ! (Adieu l’Allemagne !) »
Le président Wade est très en colère. Il convoque le ministre des Sports, Youssoupha Ndiaye, mais ne le reçoit pas. Lâché par Sindiély Wade (la fille du président), celui-ci est tancé en Conseil des ministres par le chef du gouvernement Macky Sall, qui reçoit ordre de le limoger. Youssoupha Ndiaye a beau défendre crânement son poste et son bilan, le 22 juin, un décret présidentiel met fin à ses fonctions que récupère… Macky Sall.
Le 23, reçu à la primature, Guy Stephan se voit signifier la rupture de son contrat. Il percevra toutefois ses salaires et indemnités (environ 99 millions de francs CFA). Le 24, Saïd Fakhri annonce à ses pairs de la Fédération sénégalaise de football (FSF) : « J’ai décidé de me décharger de mes fonctions de président avec effet immédiat. » Le vice-président Mbaye Ndoye lui succède. Abdoulaye Sarr et Amara Traoré sont chargés de conduire les destinées des Lions le 3 septembre face à la Zambie, et le 9 octobre face au Mali. Le 29 juin, le président Wade déclare lors du 13e Gala du Lion d’or, organisé par le journal Le Soleil : « J’ai décidé de prendre le football en main. » Quatre jours après, il sort de sa manche un nouveau ministre des Sports : El Hadji Daouda Faye « Vava ».
La prise en main présidentielle entraîne sept ans de disette : élimination du Mondial 2010 et de la Can 2010, élimination au premier tour des éditions de la Can 2008 et 2012, et seulement une place de demi-finaliste en 2006.
Le 13 octobre 2012, les Lions affrontent, à l’occasion des éliminatoires de la Can 2013, les Éléphants de Côte d’Ivoire, vainqueurs au match aller, à Abidjan, par quatre buts à deux. Le ministre des Sports El Hadji Malick Gackou (candidat malheureux à la présidence de la FSF en 2009) et une partie de la presse locale font croire au public que l’exploit est possible : éliminer les Ivoiriens au stade Léopold-Sédar-Senghor à Dakar. Des milliers de pseudo-supporters sont ainsi acheminés vers l’arène du stade dont les tribunes sont le théâtre d’indicibles manifestations de chauvinisme.
Le has been El Hadji Diouf (il a dépassé la quarantaine !), non sélectionné pour le match, lance une campagne de dénigrement des dirigeants de la Fédération qu’il traite publiquement de tocards. La veille de la rencontre, le « roi du crachat », qui se prend pour un « demi-dieu », rassemble ses fans qui s’en vont bloquer le cortège des Lions et brûler des pneus sur la voie publique. Durant le match, El Hadj Diouf se comporte en voyou dans la loge officielle. Sa conduite est la mèche qui va faire exploser les tribunes.
En seconde période, un coup franc discutable est accordé par l’arbitre tunisien Slim Jédidi aux Éléphants. Drogba le transforme : 1-0. Quelques minutes après, les Ivoiriens obtiennent un penalty. Le public commence à jeter des pierres, Drogba double la mise (2-0). Les projectiles pleuvent sur la pelouse, la partie est interrompue. La police intervient en tirant des grenades lacrymogènes. Une pierre atterrit sur le crâne du ministre El Hadji Malick Gackou et le blesse. La partie ne reprendra plus. Le ministre sénégalais de l’Intérieur, s’exprimant dans les gradins vides du stade, rassure : « Il n’y a pas eu de blessures graves. Il y a eu des violences et certains supporteurs sont tombés d’eux-mêmes. » Le Sénégal est éliminé et il risque de lourdes sanctions.
Le chef de l’État Macky Sall, qui se trouvait à Abidjan dans une réunion, présente publiquement ses excuses auprès de son homologue ivoirien, Alassane Ouattara. Le lendemain des incidents, le premier ministre Abdoul Mbaye convoque le président de la FSF et lui demande de démissionner. Niet, répond Me Augustin Senghor. Quatre membres de la Fédération, dont l’ancien arbitre Badara Mamaya Sene, démissionnent. L’entraîneur Joseph Koto est limogé. Deux semaines plus tard, le ministre El Hadji Malick Gackou (il passe au Commerce) est remplacé par Mbagnick Ndiaye, un ancien cadre du ministère des Sports, qui préside la Confédération africaine d’… escrime ! Il est le huitième à occuper le poste depuis 2005. Se sont effet succédé, après le départ de Youssoufa Ndiaye, Daouda Faye, Issa Mbaye Samb, Bacar Dia, Mamadou Lamine Keita, Faustin Diata, Abdoulaye Makhtar Diop, Malick Gackou et Mbagnick Ndiaye. Un record mondial !
Quant à la FSF, elle a eu, depuis juin 2005, quatre présidents : Saïd Fakhry, Mbaye Ndoye, limogé après la Can 2008, Diagna Ndaye, qui restera jusqu’en 2009, et actuellement, depuis trois ans, l’avocat Me Senghor. Les Lions, eux, ont « consommé » quatre entraîneurs : trois locaux (Lamine Ndiaye, Amara Traoré et Joseph Koto) et un expatrié, le Franco-Polonais Henry Kasperzcak – qui a jeté l’éponge lors de la Can 2008.
Ne cherchez pas la cause de cette instabilité : elle est la conséquence de l’ingérence permanente du pouvoir politique dans les affaires du ballon. Les ministres des Sports se prennent pour des ministres du… Football, interviennent à tout bout de champ et se comportent comme des dirigeants de club. Ils empiètent sur les prérogatives de la Fédération, elle-même malade des tentatives de déstabilisations menées par certains de ses membres.