C’est un paradoxe très négatif que les civils du Département d’État figurent parmi les voix les plus agressives en faveur de la guerre, quel que soit le nom qu’ils choisissent de lui donner. Madeleine Albright, lorsqu’elle était la secrétaire d’État du président Bill Clinton, avait demandé à Colin Powell : « À quoi ça sert d’avoir cette superbe armée dont vous parlez tout le temps si on ne s’en sert pas ? ».
Qu’elle vienne de l’État ou de la Défense, la militarisation de la politique étrangère américaine a été un désastre. De l’Irak au Vietnam et au Cambodge, de la Libye au Kosovo – où 78 jours de bombardements de Belgrade ont intensifié le déplacement du Kosovo de 200 000 Serbes, Roms et autres groupes ethniques – l’application optimiste de la violence militaire pour résoudre des impasses diplomatiques a engendré, le plus souvent, un désastre humanitaire et un échec militaire.
Malgré ça, les efforts pour utiliser la négociation diplomatique dans la résolution de la dernière crise, la guerre civile syrienne, sont, une nouvelle fois, condamnés comme un « Munich », pas seulement par les beaux parleurs des radios AM, mais aussi par le secrétaire d’État, John Kerry, lui-même.
Tout cela n’est qu’un élément de l’atrophie générale des techniques diplomatiques à Washington et des habitudes de discipline qu’elles exigent : reconnaître les limites de la puissance américaine, être capable de compromis sur les intérêts non essentiels et se concentrer sur la vision à long terme au lieu de la gratification momentanée.
C’est un paradoxe très négatif que les civils du Département d’État figurent parmi les voix les plus agressives en faveur de la guerre, quel que soit le nom qu’ils choisissent de lui donner. Madeleine Albright, lorsqu’elle était la secrétaire d’État du président Bill Clinton, avait demandé à Colin Powell : « À quoi ça sert d’avoir cette superbe armée dont vous parlez tout le temps si on ne s’en sert pas ? ». C’est là l’une des pires raisons, à coup sûr, de recourir à la force que l’on ait connue dans l’Histoire. Aujourd’hui, nul n’est plus désireux de lancer des missiles humanitaires sur la Syrie que le secrétaire d’État Kerry, avec un secrétaire à la Défense apparemment perplexe, Chuck Hagel, qui essaye de suivre.
Mieux encore, Samantha Power, l’ambassadeur d’Obama aux Nations unies, a fait carrière sur la « militarisation des droits de l’homme ». Le livre qui l’a rendue célèbre, A Problem from Hell, est une spéculation passionnée sur le potentiel de la force militaire pour prévenir les génocides, sans poser comme préalable que la diplomatie préventive et avec une vision à long terme peut aboutir aux mêmes résultats. (Le livre ne mentionne pas non plus les multiples génocides post guerre mondiale que le gouvernement américain a armés ou soutenus, en dehors d’une phrase sur Timor-Est).
Pourquoi cette préférence compulsive de la force militaire chez les élites de la politique étrangère, malgré ses piètres et parfois terrifiants résultats ? George Kenney, un responsable des services étrangers qui a démissionné du département d’État en 1992 pour protester contre la politique américaine dans la crise de Yougoslavie, me disait récemment que pour les plus ambitieux, l’adhésion retentissante à la violence militaire est le chemin le plus court et le plus rapide pour accéder à Washington et que l’on ne peut dissocier leur foi illusoire en la violence militaire comme arme humanitaire de leur carriérisme cynique.
* Chase Madar, journaliste, auteur de « the Passion of Bradley Manning »
Source New York Times/débat
Traduit de l’anglais par Christine Abdelkrim-Delanne (Afrique Asie)