Au lendemain de la réélection du président, avant l’entrée au pouvoir de la nouvelle administration, des affrontements se sont fait jour entre démocrates et républicains, pourtant défaits. Le premier a concerné le « mur budgétaire » (fiscal cliff), ensemble de cadeaux fiscaux hérités de l’ère Bush, évalué à quelque 468 milliards de dollars, qui devait expirer à la fin 2012. À chaque camp son discours : chez les républicains, le refus d’augmenter les impôts ; chez les démocrates, le souci de ne pas réduire les dépenses essentielles de santé.
Entêtement républicain
Le conflit est devenu de plus en plus orageux à l’approche de la date fatidique du 1er janvier 2013. Finalement, un accord a été signé à l’arraché, encouragé sans doute par la nette victoire électorale des démocrates. Le texte voté par la Chambre des représentants prévoit une baisse des impôts pour l’écrasante majorité des contribuables, quelque 98 %. Les personnes gagnant plus de 400 000 dollars par an ne bénéficieront plus d’exonérations d’impôts et leur taxation passer de 35 % à 39,6 %. Ceux ayant un revenu de plus de 250 000 dollars verront, eux aussi, certaines de leurs exonérations disparaître. L’imposition des dividendes du capital passera de 15 % à 20 %. Le mur budgétaire a été adopté au Sénat par 89 voix pour et 8 contre, entériné, moins de 24 heures après, par le vote de la Chambre (257 voix, dont 85 républicains pour, 167 contre). Après le passage du texte, le président, saluant l’accord, aura eu ce mot de la fin : « L’un des piliers de ma campagne présidentielle était de changer un code des impôts trop favorable aux riches aux dépens de la classe moyenne. »
On aurait voulu des signes plus forts, mais ce retour à moins d’injustice fiscale est déjà acquis. Barack Obama se place plus que jamais comme le défenseur de la classe moyenne, d’autant qu’il a également obtenu que son programme phare de prise en charge médicale des personnes âgées et défavorisées, le Medicare, ne soit pas touché par les coupes budgétaires. Un programme que les républicains auraient aimé détruire, mais qu’ils savaient trop populaire. Il appartient désormais à Obama de faire évoluer cette politique du bien commun.
Ce vacarme autour du mur budgétaire n’a été qu’un aperçu d’une bataille plus longue et qui n’a pas fini de secouer l’Amérique : celle qui concerne le plafond de la dette – bataille qui se poursuivra sans doute jusqu’à début mars. En août 2011, un relèvement de ce plafond a entraîné, sous la pression des républicains, des coupes automatiques dans les dépenses et a gravement menacé les plus pauvres. C’est là sans conteste la plus forte compromission des démocrates. Ceux-ci ont cédé aux coups de boutoir des ultra-conservateurs, les Tea Parties, qui dès novembre 2010 ont profité de ce débat sur la dette pour critiquer l’influence trop grande du pouvoir fédéral aux États-Unis. Grover Norquist, républicain pur et dur, le monsieur « moins d’impôts » et « moins d’État », n’a pas hésité à déclarer : « Mon objectif est de couper l’État fédéral en deux d’ici à vingt-cinq ans, de l’amener à une taille telle qu’on puisse le noyer dans une baignoire. »
Il faut dire que, hormis le domaine militaire, les programmes en faveur des couches les plus vulnérables du pays représentent le plus gros morceau du fromage étatique. Et pour les républicains, tous les moyens sont bons pour s’en débarrasser, quitte à utiliser la frustration croissante de beaucoup d’Américains, empêtrés dans des problèmes de chômage ou d’argent. L’administration Obama est ainsi devenue le bouc émissaire facile de la crise. On pointe ses opérations de sauvetage de Wall Street, les sommes énormes brassées pour l’agriculture, l’industrie pharmaceutique, les sociétés pétrolières, les sociétés d’assurance… De la politique politicienne !
Face à cette pression, le président a prévenu : « Je négocierai sur beaucoup de choses, mais je ne débattrai pas encore avec le Congrès sur la nécessité d’acquitter les factures induites par les lois déjà adoptées », rappelant que, en 2011, un tel débat avait coûté aux États-Unis une dégradation de la note de leur dette souveraine par Standard and Poor’s. Les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, ont finalement repoussé la nécessité de relever le plafond de la dette au 19 mai prochain. Une retraite tactique, car ils savent que leur entêtement les a de plus en plus isolés.
Des proches au gouvernement
D’autres dossiers épineux sont sur le Bureau ovale. À commencer par celui de la régulation des armes – surtout après le massacre à l’école de Newton, dans le Connecticut. Les ventes d’armes semi-automatiques et de guerre, qui diffèrent selon les lois de chaque État, placent les États-Unis en haut de la liste des pays recensant le plus grand nombre de blessés et de tués par cette voie. Le vice-président Joe Biden, responsable de ce dossier, a commenté : « Il y a des ordres exécutifs ou des décrets présidentiels qu’on peut prendre et qui n’ont pas besoin d’accord du Congrès ! » Ces ordres seront sans doute contestés dans les cours fédérales, mais des précédents existent. Et l’urgence impose que des décisions soient prises.
Un autre engagement d’Obama concerne l’ouverture à la citoyenneté américaine des immigrés illégaux (quelque 11 millions de personnes). Une priorité pour cette année, a affirmé le président. Espérons qu’il n’oublie pas au passage la fermeture de Guantanamo promise lors de sa campagne de 2008 ! Récemment, la démocrate Diane Feinstein, citant le rapport qu’elle avait elle-même commandé au bureau du Congrès chargé de vérifier l’allocation des fonds publics, a affirmé : « Il existe des prisons aux États-Unis qui peuvent accueillir les 166 détenus de Guantanamo dans les mêmes conditions de sécurité qu’à Guantanamo… » Des organisations de défense des droits de l’homme ont récemment demandé au président d’honorer sa promesse de fermer cette prison où, dénoncent-elles, sont autorisés « la détention illimitée sans inculpation, les écoutes extrajudiciaires ou l’usage de la force militaire ».
La désignation de la nouvelle équipe d’Obama est aussi sur toutes les lèvres. Sans attendre son discours d’investiture du 21 janvier, il a choisi ses premiers candidats, qui devront être approuvés par le Congrès. Jusqu’ici, les hommes du président sont uniquement… des hommes, la plus célèbre des femmes, Hillary Clinton, ayant annoncé qu’elle ne restera plus secrétaire d’État. On retiendra que, au contraire à ce qu’il avait fait lors de son premier mandat en nommant prudemment des figures de poids qui faisaient l’unanimité du Congrès, les premiers désignés – le démocrate John Kerry au département d’État, le républicain (très atypique) Chuck Hagel au Pentagone (secrétaire de la Défense) et le professionnel John Brennan à la CIA – sont, cette fois, des proches.
Au sujet de Hagel, Obama a déclaré : « Chuck sait que la guerre n’est pas une abstraction. Il sait qu’envoyer de jeunes Américains pour combattre et être blessés […] est quelque chose que nous ne faisons que lorsque c’est absolument nécessaire. » En ce qui concerne Brennan, il a estimé : « John sait ce que notre sécurité nationale requiert, des renseignements qui apportent les faits à ceux qui décident. » Ces deux hommes correspondent bien à l’idée d’une Amérique décidée à faire rentrer ses 66 000 soldats d’Afghanistan. Au Congrès d’entériner leurs nominations. Ce qui n’est pas dit.
Le démocrate John Kerry, candidat malheureux en 2004, a été attaqué – très injustement – par les républicains sur ses états de service au Vietnam et son militantisme antiguerre. Chuck Hagel pose de sérieux problèmes aux néoconservateurs, pour sa position contre l’Aipac, le lobby pro-israélien aux États-Unis. Quant à John Brennan, on lui a reproché d’avoir approuvé ou, du moins, ne pas avoir agi contre l’utilisation de méthodes d’interrogations brutales. Des vétérans de la CIA et autres experts se demandent aujourd’hui si Brennan, qui a été immergé dans le contre-terrorisme pendant des années, est l’homme qu’il faut à la place qu’il faut. Va-t-il se préoccuper de chasser les terroristes ou plutôt de diriger la CIA ?
Il n’en demeure pas moins que le choix des deux anciens militaires que sont Kerry et Hagel, contrairement à tous les va-t-en-guerre néoconservateurs qui n’ont jamais porté l’uniforme, démontre que Barack Obama entend donner toutes ses chances à la diplomatie. Selon les sondages, 55 % des Américains estiment que le président est apte à gérer les crises et 52 % à 55 % en ont une opinion favorable. Plus de 60 % le trouvent sympathique. Reste que, de tous les sondages réalisés, le Congrès élu en novembre 2012 demeure le moins admiré de tous.