Le Parti républicain, qui fidélise autour de lui de plus en plus d’extrémistes, ignore tout des réalités sociologiques du pays et des groupes électoraux majeurs qui le composent : Hispaniques, femmes, Noirs et jeunes.
En croissance constante, les Hispaniques sont devenus une partie prépondérante des suffrages. Selon un récent sondage du Pew Research Center, ils préfèrent, à deux contre un, Barack Obama à son rival Mitt Romney. Cette sensibilité démocrate établie depuis des décennies ne semble guère gêner le Grand Old Party (GOP), qui ne fait rien pour les ramener vers lui.
Ce mépris à l’égard des Hispaniques – mais aussi des Noirs et, plus largement, des communautés immigrées – n’est pas nouveau. En 1994, le gouverneur de Californie, Pete Wilson, soutint sans ambages la proposition de loi 187 soumise à référendum, interdisant aux immigrés illégaux l’accès à l’école publique, aux soins de santé et autres services sociaux, ainsi qu’au vote. Cette initiative a miné les relations entre les Hispaniques et le Gop de Californie et empêché Wilson d’être nommé aux primaires républicaines.
En 2010, c’est l’ultradroitier Russel Pearce, ancien sénateur de l’Arizona, qui se distingue avec la loi dite SB 1070, autorisant, de fait, les contrôles au faciès, en totale contradiction avec la Constitution. Une boîte de Pandore : qu’ils soient illicites ou non, ces contrôles au faciès sont désormais légion. Aujourd’hui, la SB 1070 est même reprise dans plusieurs autres États républicains, alors qu’elle n’a pas été avalisée par la Cour suprême. Mitt Romney, malin, tente de s’en éloigner aujourd’hui, mais il ne peut faire oublier qu’en février dernier, au cours des primaires en Arizona, il l’a considérée comme un modèle du genre. Pearce, qui aime dénoncer les tentatives « massives » du camp démocrate pour inscrire des immigrés clandestins sur les listes électorales est, sans surprise, un proche collaborateur de… Romney.
Les Hispaniques et les Noirs se souviennent également que Romney a critiqué, il y a quelques mois, le gouverneur du Texas Rick Perry – son rival aux primaires – pour son programme universitaire destiné à accorder aux enfants d’immigrés illégaux une exonération de frais de scolarité. Pis : le même Romney s’est déclaré en faveur de la stratégie de l’« autodéportation ». Comprendre : rendre la vie difficile aux clandestins et leurs familles pour les pousser à quitter le territoire de leur propre chef.
Vote au faciès
Comme si cela ne suffisait pas, le GOP défend vigoureusement la généralisation de la loi surnommée « voter ID », ou voter avec un papier d’identité officiel portant une photo de l’électeur. Dans un pays qui interdit de limiter le droit de vote, et où le port d’une pièce d’identité n’est pas obligatoire, ce « voter ID » a suscité un tollé chez les défenseurs des droits civiques. Il est devenu l’arme de choix des forces antidémocratiques, surtout à l’approche de l’élection présidentielle. Car, sous prétexte de lutter contre les fraudes électorales, il entend réduire l’accès au scrutin présidentiel aux citoyens américains issus des minorités, et notamment les Hispaniques.
Actuellement, huit États exigent une pièce d’identité avec photo, chacun interprétant le terme d’« identification » à sa manière. Certains exigent que l’ID soit réalisé par l’État où l’électeur est censé voter ; d’autres n’autorisent le vote que si le nom complet et l’adresse de l’électeur figurent sur la carte : d’autres encore y ajoutent l’obligation d’une date d’expiration sur la carte d’identité… Ce micmac législatif n’est pas sans aberration : dans le très républicain Texas, par exemple, un permis de port d’arme est accepté comme papier d’identité, mais pas une carte d’étudiant. Motif : un républicain aura plus de chances d’être féru de pistolets que d’études !
On estime aujourd’hui de 5 % à 10 % les personnes qui ont le droit de vote mais ne possèdent pas de photo ID. Vingt-cinq pour cent de l’électorat africain-américain et 15 % de l’électorat percevant moins de 35 000 dollars par an sont concernés. D’autres sources indiquent que 11 % de la population éligible est dépourvue de papiers d’identité, soulignant que l’accès à ces documents est très complexe. Autre chiffre : selon le Brennan Center for Justice de l’université de New York, 5 millions d’électeurs, votant plutôt démocrates, pourraient être privés de droit de vote en novembre à cause de ces nouvelles lois, dont 800 000 dans le seul Texas.
Il y a fort à parier que d’autres États adoptent des lois similaires dont les premières victimes seront bien évidemment les plus vulnérables : pauvres, Noirs, citoyens issus de l’immigration, seniors, étudiants, handicapés, couples nouvellement mariés ou nouvellement divorcés…
C’est pourquoi Benjamin Jealous, directeur de l’Association nationale pour l’avancement des gens de couleur (NAACP), la plus ancienne organisation américaine de défense des droits civiques, est allé déposer, en mars dernier, une plainte devant le Conseil des droits de l’homme de l’Onu, à Genève. Le fait est inédit, dans la mesure où ce genre de recours émane plutôt de régions troubles tels le Moyen-Orient et l’Afrique.
C’est aussi pour cette raison que des associations comme l’American Legislative Exchange Council (Alec) devraient être sanctionnées. Depuis sa fondation au début des années 1980, cette organisation conservatrice et majoritairement blanche, composée d’élus parlementaires et de représentants des entreprises du secteur privé, joue un rôle majeur dans l’adoption des lois électorales restrictives qu’elle veut généraliser dans tous les États. Parmi les donateurs d’Alec, les milliardaires Charles et David Koch, réputés financer le Tea Party et des campagnes de pub contre Obama. Son slogan : « We want our country back » pourrait traduit par : « Nous voulons une Amérique qui ne donne pas accès à tous au rêve américain. » S’il n’est pas stoppé, ce mouvement est un danger non seulement pour 2012, mais surtout pour l’avenir.
L’équipe de campagne d’Obama mène un véritable combat national contre cette cabale anti-minorités. Des démocrates parcourent le territoire, et notamment les États les plus indécis, les « swing states », pour apprendre aux électeurs à contourner ces lois discriminantes. L’administration a également créé un site (1) qui aide les gens à s’enregistrer au scrutin de novembre prochain, ou encore à bénéficier d’une aide juridique… Lors des prochains meetings, un chapitre sera consacré aux modalités d’inscription au vote et à l’éducation citoyenne. Ces efforts seront-ils suffisants ? Toute la question est là.
Guerre aux femmes et aux étudiants
Autre électorat à l’importance politique et économique croissante, les femmes. Selon de récents sondages, elles sont 20 % de plus à préférer Obama à Romney. Plutôt que de chercher à récupérer ce précieux électorat, le GOP leur mène une guerre frontale, aussi bien sur l’égalité de salaire avec les hommes que sur la violence dont elles sont victimes, ou encore sur leur santé… Aujourd’hui, plus de 400 lois républicaines touchant aux droits à la contraception ou à l’avortement sont en attente dans les législatures des États. En février dernier, les républicains de la Chambre des représentants ont voté la suppression des fonds alloués au Planned Parenthood, organisation d’aide à la contraception et à l’avortement. Puis, en mai, ils ont passé unanimement le « No Taxpayer funding for Abortion Act » qui empêche l’État de Washington d’aider financièrement les femmes pauvres souhaitant avorter. Dans d’autres États, une nouvelle loi oblige les personnes qui veulent avorter à subir des tests invasifs vaginaux traumatisants, voire délictueux.
Les étudiants (qui ont voté massivement pour Obama en 2008) ne sont pas en reste. Paul Ryan, président conservateur de la commission du Budget de la Chambre des représentants, a fait approuver par quasiment tous les députés républicains – dont aussi par Mitt Romney – le doublement des taux de prêts aux étudiants dès le 1er juillet prochain, de 3,4 % à 6,8 %. Ce doublement augmentera leurs dettes de quelque 1 000 dollars par an.
Comment un parti politique peut-il à ce point mépriser les Hispaniques, les femmes, les Noirs et les jeunes, des groupes dont la démographie augmente continuellement dans le pays ? Le Gop, composé majoritairement d’hommes blancs d’âge moyen, ne comprend pas les réalités du pays. Il a choisi de créer des lois qui s’attachent à nier purement et simplement l’existence de tous ceux qui ne lui ressemblent pas ! À quelques mois de la présidentielle, la restriction du droit de vote en est l’atteinte la plus symbolique.
(1) www.gottavote.org – et sa version en espagnol votemostodos.org