Ce qu’on aime dans les documentaires, c’est la réalité historique, politique ou sociale qui se dégage des images. Une mise en perspective apportant sa vérité grâce à un point de vue d’auteur. Ce que l’on y voit aussi depuis plusieurs années, c’est la spectacularisation d’un genre. Rien de grave ni de surprenant à cela : les documentaristes sont plus nombreux – donc les approches aussi –, la technologie permet de faire bien des choses, et le public aime les histoires qui touchent. On succombe volontiers au sortilège du récit en images, surtout quand le documentaire met en scène une personnalité qu’on admire et est de bonne facture.
C’est le cas de Free Angela and all political Prisoners, le film de l’Américaine Shola Lynch consacré à la période trouble qui a fait d’Angela Davis une icône planétaire. Boule afro, dents du bonheur, point levé : qui ne connaît la représentation de celle ayant incarné, au début des années 1970, la lutte des droits civiques ? Curieusement, c’est le gouvernement réactionnaire d’alors (Nixon est au pouvoir), qui apportera les ingrédients pour faire monter la mayonnaise médiatique. Car au départ Angela Davis, comme ses collègues, est plus une intellectuelle engagée à l’université de San Diego qu’une dangereuse activiste. Mais pour Reagan, alors gouverneur de Californie, une femme, noire et communiste, c’est trop : il parvient à la faire exclure de sa chaire en 1969.
Angela est passée sous le feu des médias et n’en partira plus. Son combat s’intensifie au sein du Che Lumumba Club, cellule afro-américaine du Parti communiste. Elle soutient les Frères de Soledad, prisonniers politiques noirs dans cette maison d’arrêt de Californie, en particulier George Jackson dont elle tombe amoureuse. Mais le 7 août 1970, une tentative d’évasion au tribunal de San Marin, qui réclame la libération des frères de Soledad, tourne mal : le juge pris en otage est tué dans la fusillade, ainsi que deux évadés et l’organisateur, le frère de Jackson.
L’arme appartient à Angela Davis. Cela signifie-t-il qu’elle l’a achetée pour participer au crime ? En son nom propre ? Cela semble énorme, mais, pour le procureur, l’occasion est trop belle d’éliminer la gêneuse. La prof de philo préfère la cavale à un sort connu d’avance. Elle devient l’ennemi public numéro 1, le FBI la traque sur tout le territoire. Jusqu’à son arrestation, deux semaines plus tard.
La suite relève de l’Histoire : une mobilisation internationale exceptionnelle, alors qu’elle encourt trois fois la peine de mort pour meurtre, kidnapping et conspiration. Un acharnement qui sent la machination d’État et révolte. Après vingt-deux mois d’incarcération, sa libération sous caution (grâce à un agriculteur blanc du Sud indigné qui hypothèque sa ferme…), et un procès où ses avocats ont tout compris du parti à prendre de la médiatisation, Angela Davis est acquittée le 4 juin 1972 par un jury exclusivement blanc.
Shola Lynch a choisi de narrer cet épisode à la façon d’un thriller au montage ultra serré. Grâce aux nombreuses images disponibles, mais aussi à un travail archivistique fouillé, les témoignages des acteurs de l’époque – à commencer par Angela Davis elle-même –, des scènes fictionnées heureusement discrètes et une bande son free jazz, elle plante le décor du racisme institutionnalisé aux États-Unis pour y faire évoluer sa protagoniste.
Il y a quelque chose de troublant dans cette façon de tendre à la fiction quand tant de fictions veulent faire « authentique ». Le procédé fascine d’autant plus que, pour susciter les sentiments d’empathie et l’identification, Shola Lynch ne ménage aucun effet dramaturgique. On est derrière Angela Davis quoi qu’il arrive. Mais son combat politique ? Ses arguments ? Son actualité ? L’émotion est indéniablement présente dans ce film. On aurait juste aimé que celui-ci n’eût pas oublié, par-delà la sacralisation, un peu de réflexion salutaire.
Free Angela and all political Prisoners, de Shola Lynch, France/États-Unis, 2012, 1 h 30.