Des accords imparfaits, des élections précipitées ne valent-ils pas mieux que la déliquescence actuelle de l’État malien ? C’est à l’aune de l’impuissance du « président par intérim », Dioncounda Traoré, du long délitement des institutions et de l’armée, de la mise sous tutelle internationale du pays qu’on peut juger les récents accords de Ouagadougou entre les autorités de Bamako et les représentants des Touaregs.
Kidal, clef de la paix au Mali ? C’est peut-être accorder trop d’importance à une bourgade de 30 000 habitants perdue au nord-est du pays. Sauf que cette « cité- État » touarègue, sur laquelle flotte le drapeau de l’Azawad, tenue par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), est devenue symbolique pour le nationalisme malien. « Pas d’élections tant que la guerre n’est pas finie », a déclaré récemment le capitaine Sanogo, ex-putschiste qui, le 22 avril 2012, a renversé le régime à bout de souffle du président Amani Toumani Touré (ATT). Et ce sentiment n’est pas isolé.
Certes, les milliers de djihadistes, toutes tendances confondues, qui fonçaient vers Bamako, ont été contenus puis repoussés par la force française Serval en janvier dernier. Gao, Tombouctou et Kidal leur ont été reprises, tandis que les Touaregs du MNLA ont servi de supplétifs aux forces françaises et tchadiennes dans les très durs combats de l’Adrar des Ifoghas.
Mais dans ce Mali à l’État et l’armée quasi inexistants, c’est bien le problème touareg qui préoccupe l’opinion à Bamako, plutôt que l’islam salafiste ou l’application de la charia.
Si les accords de Ouagadougou ont un contenu positif, c’est donc bien pour l’accès de l’État et de l’armée malienne à Kidal, permettant une élection présidentielle fin juillet, sur lesquelles Hollande s’est déclaré « intraitable » – irritant sérieusement la classe politique malienne. Bien aussi pour l’instauration d’une Commission technique mixte de sécurité paritaire entre Touaregs et gouvernement, chapeautée par un comité de suivi et d’évaluation (France, UA, UE, Onu… jusqu’à la Suisse !) ? Le porte-parole du MNLA en Europe, Moussa Ag Assarid, contacté à Paris, se déclare particulièrement rassuré par cette caution internationale qui veillera de près à ce que la situation de terrain ne dégénère pas au détriment des Touaregs, et trouve une victoire symbolique dans l’emploi fugace du terme « Azawad » pour le nord du Mali, dans une formulation alambiquée de l’article 21.
Rien n’aurait été signé en effet sans une forte pression de la diplomatie française et de ses relais de la Cedeao, dont le président Blaise Compaoré, coutumier d’un rôle de « facilitateur » qui dissimule mal des jeux très personnels d’acteur, ou parfois de boutefeu des conflits ouest-africains.
Comme le dit leur intitulé, ce sont des accords « intérimaires » provisoires et renégociables, après les élections de la saison des pluies, par le nouveau président. Et d’après leur formulation, loin d’être encore « inclusifs » : les djihadistes, dans leur diversité apparente (Aqmi, Mujao, Ansar Eddine…), ne sont pas parties prenantes des accords – contrairement aux milices d’autodéfense sudistes, telle Ganda Koy, qui quoique non signataires, étaient présentes dans la capitale burkinabè.
C’est d’ailleurs ce « tiers exclu » djihadiste qui est le plus grand danger pour ces accords tant attendus. Passés en Libye, réfugiés dans les camps en Mauritanie, Burkina, Niger, il n’est pas exclu qu’ils tentent des coups d’éclat comme à In Amenas en Algérie ou récemment à Arlit, au Niger. Sans oublier l’appui de leur base sociale ou religieuse comme autour de Gao et de la forte minorité wahhabite à Bamako, autour de 20 % de la population.
Rappelons que ces élections précipitées et sous tutelle ont pour objectif politique pour la diplomatie française et internationale de donner un vernis de légitimité au futur dirigeant malien, de sorte que les forces françaises puissent se retirer au profit de la Minusma, cette force onusienne en devenir.
Mais les accords tiendront-ils longtemps ? La société touarègue, très segmentée, est coutumière d’accords sitôt oubliés que passés, de divisions et de retournements d’alliance. L’armée malienne, même affaiblie, est tentée par la revanche du carnage de ses soldats comme à Aghelog, en janvier 2012. N’a-t-elle pas massacré, à l’inverse, des civils touaregs après chaque révolte, depuis 1963 ? Les groupes armés, notamment le MNLA, voient à portée de leur kalachnikov ce « foyer national », à cheval sur cinq pays, que leur peuple attend depuis un demi-siècle.
Drôle d’ambiance dans la petite ville de Kidal : MNLA, force Serval, Minusma, armée malienne vont bientôt tenter d’y cohabiter. Ou, pour les premiers comme les djihadistes, de nomadiser avec armes et bagages par-delà les frontières, attendant le moment propice pour frapper ailleurs ou revenir combattre au Mali ‑ ou, pour eux, en Azawad.