En annonçant sa démission de son poste de Premier ministre du Liban, depuis la capitale saoudienne Riyad, où il avait été convoqué d’urgence, Saad Hariri s’est déshonoré. Il a préféré ses intérêts privés à l’intérêt national. Il a perdu sur les deux tableaux. Il a déconcerté autant ses alliés que ses adversaires. Car cette « démission » risque de replonger le pays du Cèdre dans la tourmente, voire la guerre civile, dont personne n’en veut à Beyrouth. En attendant de savoir plus sur ce coup de force ordonné par l’homme fort du royaume wahhabite, Mohamad Ben Salman (MBS), on est aussi en droit de s’interroger sur l’inquiétante dérive de l’Arabie saoudite sous la direction de l’imprévisible MBS qui vient d’ordonner le jour même l’arrestation de onze princes et des dizaines de ministres, anciens et actuels, sur décision d’une fantomatique commission anticorruption qu’il préside.
Que se passe-t-il au royaume des ténèbres ? Pourquoi le jeune et inexpérimenté, mains néanmoins arrogant vice-roi Mohamad Ben Salman a-t-il décidé de sacrifier son pion libanais Saad Hariri en l’obligeant à démissionner ? Une « démission » annoncée dans des conditions les plus « humiliantes » qui soient : à Riyad même et sur la TV d’État saoudienne, Al-Arabiya plutôt que sur sa chaîne privée Al-Mostaqbal ? Certains observateurs se posent même la question de savoir si le Premier ministre démissionnaire n’est pas assigné à la résidence forcée et s’il fait partie lui aussi des dizaines de princes, d’anciens ministres et d’hommes d’affaires saoudiens arrêtés le jour même par la Commission anti-corruption, sachant que Saad Hariri est aussi, en plus de sa casquette de Premier ministre du Liban, d’homme d’affaires raté, un sujet de Sa Majesté wahhabite.
Il ne fait pas de doute que le royaume saoudien traverse depuis la révolution de palais qui a porté MBS au poste de Prince héritier en juin dernier, une période de turbulences sans précédent qui pourrait faire voler en éclats le fragile équilibre dynastique qui avait jusqu’ici été savamment préservé.
A peine nommé ministre de la Défense en 2015, MBS engage son pays dans plusieurs confrontations ruineuses dont la guerre contre le Yémen. Cette aventure désastreuse stratégiquement – orchestrée avec les Emirats arabes unis, s’ajoute à d’autres engagements tout aussi catastrophiques.
Le jour même où Hariri a été contraint honteusement à démissionner, dans la foulée d’une purge qui ressemble à s’y méprendre à un coup d’état, un missile lancé depuis le Yémen touche l’aéroport international de Riyad.
Parmi les autres « faits de guerre » de ce stratège en herbe, mauvais joueur de Poker, citons sa calamiteuse guéguerre contre le Qatar contre qui il avait imposé, avec l’Egypte, les Emirats arabes unis et Bahreïn, un blocus qui s’est retourné contre lui. Plutôt que de voir le Qatar plier, c’est le Conseil de coopération du Golfe, jusqu’ici chambre d’exécution des volontés saoudiennes, qui a volé en éclats. Quant au Qatar, il continue à narguer la bande des Quatre, s’assurant le soutien des Etats-Unis, la complicité des Européens, mais aussi le soutien de la Turquie et de l’Iran.
Parallèlement à ces fiascos, l’Arabie saoudite assiste paniquée à la victoire des armées irakienne et syrienne et le triomphe de l’Iran dans la région. Le Hezbollah, qui avait chassé l’occupant israélien du Liban en 2000 et qui lui a infligé une défaite mémorable en 2006, sort victorieux de ces guerres imposées par l’Arabie saoudite. La myriade d’organisations terroristes dans ces pays est en voie d’écrasement. L’Etat syrien est non seulement debout, mais il est en position aujourd’hui, avec son allié le Hezbollah, de demander des comptes à tous ceux qui avaient cherché à le rayer de la carte.
La victoire de la Syrie et du Hezbollah signifie la fin de l’influence saoudienne, fondée sur les pétrodollars, au Liban. En forçant Saad Hariri à la démission, MBS joue son va-tout en espérant amener Israël – son nouvel allié – et les Etats-Unis à s’engager dans une nouvelle guerre économique, financière et militaire contre un Liban désormais un pilier de l’Axe de la résistance, qui s’étend de Téhéran à Beyrouth.
Un véritable cauchemar pour l’Arabie saoudite qui sera forcée de se replier sur elle-même pour se prémunir contre les démons de l’éclatement territorial, de la révolte interne et de la guerre civile qui pointe à l’horizon.