« Il faut changer définitivement le système alimentaire dominant qui cause des dommages à l’environnement et crée une injustice sociale, surtout en raison des gaspillages. Nous produisons de la nourriture pour 12 milliards de personnes, mais nous ne sommes que 7 milliards sur terre. Pourtant, 1 milliard ne mange pas à sa faim. Cela veut dire que nous jetons 50 % de ce que nous produisons. C’est une honte pour l’humanité », nous a déclaré l’Italien Carlo Petrini, après la projection au Festival international du film de Berlin (Berlinale) du documentaire de Stefano Sardo, Slow food Story, dont il est le protagoniste. Et de poursuivre : « Chaque Européen consomme et gaspille 850 kg de nourriture par an. Il n’en consomme en réalité que 480 environ. Prendre conscience de cela est en soi un acte politique important. Mais il faut aussi agir. »
L’« ennemi » de Petrini n’est pas le hamburger. Il en mangeait bien avant le déferlement des McDonald. La Suisse du reste l’appelait « Swiss », « c’était de la bonne viande issue du terroir », explique-t-il. Mais lorsqu’un plat est conçu pour plaire à la planète entière, il ne peut satisfaire « le goût de tout le monde, et n’a plus de goût du tout. Sans compter la qualité médiocre de ses ingrédients. »
La slow food (en opposition à la fast food), née dans la région de Turin (Italie) dans les années quatre-vingt, surtout en tant que recherche du goût et de la qualité, a depuis évolué et s’est internationalisée. En 2004, elle a donné vie à la fondation Terra Madre, en partenariat avec la ville de Turin, la région Piémont, le ministère de l’Agriculture et de la Forêt et de la Coopération italienne pour le développement. Terra Madre est devenu un « réseau mondial de communautés de la nourriture – agriculteurs, pêcheurs, artisans producteurs, chefs et cuisiniers, chercheurs et universitaires, jeunes musiciens et autres représentants communautaires – qui travaillent vers un système alimentaire durable », selon les termes de son site.
En Europe, après un productivisme forcené, les choses sont en train de changer, rappelle Petrini. « Nous devons influencer la nouvelle politique communautaire, car il faut faire face aux grands groupes, aux multinationales et leurs puissants lobbies, affirme-t-il. Il faut défendre les intérêts des petits producteurs, miser sur la qualité des produits et la préservation des sols. Nous avons en Europe des objectifs simples : promouvoir une agriculture propre, en faisant en sorte que seuls les producteurs qui ne détruisent pas le sol et ne polluent pas l’eau bénéficient des contributions communautaires. Il faut que l’on prête une plus grande attention aux petits producteurs et que l’on encourage les jeunes à s’engager dans la nouvelle agriculture. »
En ce qui concerne l’Afrique, où les associations de Terra Madre se développent à grande allure, la question de la terre est au cœur de toutes les luttes : « Le droit à la terre prend ici des formes plus violentes que la colonisation elle-même. Les paysans en sont dépossédés, comme d’ailleurs les pêcheurs pour l’eau, car celle-ci est polluée ou surexploitée par la pêche industrielle. Pour revendiquer ce droit, il faut un mouvement qui part du bas, car trop souvent on ne peut pas compter sur les gouvernements qui ont des accointances avec les multinationales », souligne Petrini, qui ajoute : « L’Afrique doit se battre pour sa souveraineté alimentaire. Heureusement, beaucoup de jeunes l’ont compris et rejoignent le mouvement. Ce sera une véritable épopée à certains endroits du continent, dans des contextes aussi dramatiques que les famines ou la désertification. » Les grandes multinationales (Nestlé, Danone, etc.) ont une position dominante en Afrique : « Elles pénètrent ces marchés avec leur nourriture industrielle dont l’effet le plus immédiat est de détruire l’agriculture locale. »
Terra Madre est déjà présent en vingt-six pays africains et est très active en Ouganda, au Kenya, en Afrique du Sud et au Burkina. Cette association, et beaucoup d’autres, sont au cœur des actions tournant autour de questions cruciales : comment nourrir les gigantesques centres urbains qui se développent sur le continent et se multiplieront d’ici à 2050, garantir la sécurité alimentaire, conserver les spécificités alimentaires de chaque pays ou région.