La victoire des Houthi soutenus par l’Iran au Yémen a paniqué Washington et ses alliés au Moyen Orient – et augmenté les chances que les Américains pourraient à nouveau effectivement se trouver à combattre avec les forces soutenues par l’Iran dans un pays explosif et stratégiquement important.
Les intérêts américains et iraniens se sont rejoints en Irak, où les États-Unis ont non seulement mené une campagne aérienne massive contre l’État islamique, mais également, ont 2600 soldats et une force pour les opérations spéciales qui assistent le gouvernement irakien et la milice Peshmerga dans leurs combats contre le groupe sunnite terroriste. En même temps, la Force iranienne Qods s’est jointe à la bataille contre l’État islamique (Daech ou ISIS), ainsi que les combattants du Hezbollah et les milices irakiennes chiites qui sont des émanations des Iraniens.
Le Hezbollah et la Force Qods, les forces spéciales iraniennes et le service de renseignement ont aussi été en première ligne de la guerre en Syrie, protégeant le régime de Assad et conduisant le combat contre Daech et la branche syrienne d’al-Qaïda, le Front al-Nousra. Les agents américains sont engagés dans une opération secrète moins importante d’entraînement et d’armement des soi-disant milices sunnites modérées en Syrie.
Les forces soutenues par l’Iran dans les deux pays reçoivent une aide indirecte par l’intensification de la campagne aérienne américaine contre Daech. À ce jour, les avions américains ont lancé 2300 attaques contre l’organisation Daech. Les Émirats arabes unis, alliés clef de la coalition anti-Daech, ont suspendu leur participation après l’arrestation du pilote jordanien par ISIS en Syrie. Les terroristes ont récemment posté une vidéo montrant le pilote brûlant vif et le gouvernment des EAU ont réagi en arrêtant les frappes. La Jordanie a également intensifié son intervention contre les terroristes. Au Yémen, les États-Unis ont répondu à la victoire des Houthi en fermant l’ambassade américaine de Saana et en évacuant son personnel le 11 février. Cependant, une unité des forces spéciales américaines engagées dans la guerre contre al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQAP) stationne au Yémen, selon un responsable de la Défense. Les États-Unis considèrent qu’AQAP est plus menaçant à cause de sa capacité à fabriquer des bombes difficiles à détecter avec des détecteurs à métaux. Des terroristes liés à AQAP avaient été impliqués à un complot pour faire exploser un avion civil le jour de Noël 2009 et, plus tard dans la tentative de détruire deux avions cargo pendant leur vol au-dessus des États-Unis.
Le fait que l’unité des opérations spéciales reste au Yémen, alors même que les Houtis doivent leur succès en partie au soutien iranien, ajoute un problème supplémentaire à l’exercice d’équilibre maladroit que les forces militaires et de renseignement américaines mènent au Moyen Orient dès lors qu’il s’agit de l’Iran. Les partisans des Houthis à Sanaa ont parcouru les rues de la capitale en scandant « Mort aux Américains, mort aux Israéliens, les Juifs en Enfer ! »
Dans les coulisses, cependant, les dirigeants des Houthis disent vouloir des relations normales avec les États-Unis. Pour une simple raison : Les Houthis, comme d’autres groupes soutenus par l’Iran au Moyen-Orient, détestent et craignent al-Qaïda et veulent combattre l’organisation autant que Washington.
Le commandant de marine à la retraite, Chris Harmer, analyste de l’Institut for the Study of War, a expliqué que les États-Unis se sont trouvés obligés de s’engager dans une guerre de « pas de danse ». « Nous devons regarder chaque endroit où nous mettons les pieds car, parfois, nous sommes de facto, sinon de jure, alliés avec l’Iran. Dans d’autres cas, nous nous opposons encore à Téhéran. Et tout cela est intimement lié d’une certaine manière. »
C’est le cas en Irak et au Yémen où les États-Unis combattent inconfortablement du même côté que l’Iran et de ses alliés, alors qu’en mer, la marine américaine continu de mener ses missions de blocus pour empêcher l’Iran de livrer des armes au Hezbollah, la milice libanaise qui les utilise pour menacer le voisin israélien, explique Harmer.
La mesure de l’aide apportée aux Houthis par la force Qods et ses pions arabes fait débat. La spécialiste du Yémen à l’American Enterprise Institute, Katherine Zimmerman, estime l’influence iranienne sur les Houthis en se référant à deux événements peu après l’accord du 21 septembre par lequel le président Abed Rabbo Mansour Hadi a semblé répondre favorablement aux exigences des Houthis qui avaient occupé des positions clef dans la capitale. Le 23 septembre le gouvernement yéménite a libéré deux prisonniers libanais suspectés d’appartenir au Hezbollah et qui avaient été arrêtés à Aden, accusés d’avoir entraîné des Houthis. Deux jours plus tard, le gouvernement libérait trois membres présumés de la Force Qods accusés d’être des membres d’une unité iranienne de renseignement.
En dehors de ces exemples, il est difficile de se procurer des preuves non secrètes de l’implication de conseillers de Qods, du Hezbollah ou de la milice chiite irakienne auprès des Houthis. « Les Houthis ont reçu le soutien de l’Iran, y compris des armes et un entraînement, mais au-delà, il est difficile de le quantifier réellement » dit Zimmerman. « Il existe des rapports sur les deux dernières années mais rien en terme de preuve irréfutable. »
Le colonel à la retraite Derek Harvey qui a servi comme conseiller en renseignement auprès du général David Petraeus au plus fort de la guerre en Irak estime que l’Iran a envoyé des instructeurs du Hezbollah et de la milice chiite irakienne pour aider les Houthis, mais on ne sait pas dans quelle mesure. Certains responsables au sein du gouvernement américain prétendent que le soutien iranien aux Houthis n’est pas forcément égal à l’influence iranienne sur l’organisation. Selon eux, rien ne montre que les Iraniens exercent le commandement et le contrôle des activités des Houthis au Yémen.
Selon Zimmermann, il y a des instructeurs de l’armée américaine au Yémen, mais ils ne travaillent pas avec des unités Houthis. Cependant, dans les dernières semaines, des forces gouvernementales et Houthies ont coopéré sur le terrain, comme au centre-sud du Yémen contre AQAP, et les Houthis tentent, maintenant d’intégrer leurs combattants aux forces yéménites gouvernementales.
Le résultat, dit l’analyste, est que les communautés sunnites « vulnérables » au Yémen qui avaient repoussé AQAP auparavant, les laissent revenir maintenant à contrecœur, « simplement parce que al-Qaïda est considérée comme un moindre mal par rapport aux Houthis ». En d’autres termes, alors que les États-Unis considèrent le gouvernement yéménite comme « un partenaire antiterroriste », ils sont en train de renforcer ses adversaires houthis. Le degré de coordination entre les États-Unis et les partenaires de l’Iran en Irak et en Syrie n’est pas clair, non plus. Les États-Unis ne semblent pas coordonner leur campagne aérienne en Syrie avec l’Iran ou ses forces alliées, mais en Irak « il faut un minimum de coordination , estime Derek Harvey, même s’il faut passer par des intermédiaires irakiens ou kurdes ».
La coopération rapprochée éventuelle entre les agents américains et iraniens en Irak, Syrie et éventuellement en Yémen dans le futur, pose toujours la question de savoir qui, des deux camps, profitera le plus de ce partenariat difficile. L’énorme avantage des Américains en termes d’espionnage électronique qui leur permet d’observer leurs forces de près pourrait servir aux services de renseignement iraniens. « J’aurais tendance à penser qu’ils en retirent plus que nous ne le faisons », estime Derek Harvey.
Le colonel à la retraite estime, également, que les États-Unis n’ont plus la présence en Irak et au Yémen nécessaire à la construction d’une vision globale de l’activité iranienne dans ces pays. Tout en reconnaissant qu’il ne connaît pas l’importance du bureau de la CIA à Bagdad, il estime que le renseignement américain s’est plus concentré sur ISIS, sur les dynamiques politiques à l’intérieur de l’Irak et sur les mécanismes internes des forces irakiennes de sécurité. Au Yémen, pendant ce temps, la décision américaine de fermer l’ambassade a entraîné le retrait d’un grand nombre d’agents de la CIA, y compris certains de ceux qui étaient chargés de coordonner la campagne actuelle contre AQAP là-bas.
L’influence grandissante de l’Iran au Yémen pose un défi potentiel stratégique à long terme à l’Arabie saoudite et aux États du Golfe qui cherchent à empêcher le contrôle iranien du Détroit d’Ormuz en augmentant les exportations de pétrole via les ports de la Mer Rouge. Derek Harvey suggère que dans quelques années, l’Ira pourrait utiliser son emprise sur le Yémen, également, pour menacer ces routes maritimes vitales, soit en déployant des missiles Silkworm du côté nord du détroit de Bab-el-Mandeb qui relie la Mer Rouge au Golfe d’Aden, soit par des petites embarcations utilisant des tactiques de fourmis. L’Iran ou ses partenaires yéménites pourraient aussi choisir simplement de miner ce passage
Le succès d’Houthis n’a fait que renforcer l’inquiétude au sein des alliés des Américains au Moyen-Orient, une inquiétude partagée par certains spécialistes à Washington, que les États-Unis veulent laisser à l’Iran une sphère d’influence dans la région, en partie pour favoriser le bouclage du dossier nucléaire. Un rapport de la de janvier 2014, fuité en octobre, émanant du conseiller de la Maison Blanche Ben Rhodes semblant comparer l’accord sur le nucléaire avec l’Iran à l’Obamacare en termes d’importance pour l’administration Obama n’a fait que renforcer ces inquiétudes. « C’est probablement la chose la plus importante que fera le président Obama dans son second mandat en politique étrangère » écrivait Rhodes.
Le Yémen « n’est pas le jeu principal au Moyen Orient, estime Derek Hervey. Mais le fait que les États-Unis se montrent conciliants face à un Iran encouragé « a nourri un sentiment de paranoïa ». Il ne fait pas bon d’être un arabe sunnite dans la région ».
(Source Sean D. Naylor www.foreignpolicy.com – Traduction Afrique-Asie)