Bonnes feuilles
« Je suis le nouveau Qarmate »
Pendant longtemps, pas le moindre universitaire occidental n’a écrit une ligne sur ce pays. Historiographe de lui-même, l’émir Hamad bin Khalifa al-Thani, le monarque actuel, a apporté sa pierre à l’édifice en déclarant à ses intimes : « Je suis le nouveau Qarmat »… Prétendrait-il ainsi remonter en direct aux origines de l’islam ? Ayant vécu trois siècles après l’envol de Mahomet, Hamadan Qarmat Ibn al-Ach’ath, fondateur de la secte qui porte son nom, est le leader d’un courant de l’ismaélisme. Autrement dit, il est à l’origine d’un schisme qui va pousser ses disciples à mettre La Mecque à sac, en 930, et à se tourner vers le feu pour prier… Que le roi du Qatar revendique une parenté philosophique avec ces fanatiques messianistes est une forme d’aveu, l’expression d’un rêve d’en revenir aux sources.
Des langues de vipères – qui pullulent dans le désert et viennent souvent de chez la sœur ennemie, l’Arabie voisine – affirment que les Qataris « sont les descendants de pillards spécialisés dans l’attaque des pèlerins de La Mecque ». Lassés de leurs rezzous, les princes, gardiens des lieux saints, auraient expulsé ces bandits vers une langue de terre aride : le Qatar. […]
Habiles, les Al-Thani ont instauré un partage du pouvoir (très relatif) qui, avec l’argent distribué, jugule grosso modo toute opposition des autres familles. Ainsi, quinze personnalités qui n’ont pas la chance d’être nées Al-Thani – fratrie qui compte environ trois mille cousins – se partagent des postes de ministre dont aucun n’est de premier plan. Pas grave dans un pays où tout se règle dans le salon de l’émir, ou dans celui de son premier ministre et cousin, Hamad bin Jassim bin Jaber al-Thani (dit « HBJ »). Dans ce royaume, être chargé de la Justice, de l’Économie, sans parler de l’Environnement ou des Affaires sociales, n’a pas plus de sens qu’être titulaire d’un maroquin en Corée du Nord où Kim Jong-un s’occupe de tout. […]
Une tradition de révolutions de palais
L’histoire actuelle du Qatar, cette monarchie ultraconservatrice qui méduse la planète, commence par un poignard planté dans le dos. En février 1972, le cheikh Khalifa lance un coup d’État contre l’émir Ahmad, un cousin ni présent ni passionné par la gestion de son pays. Quelques fidèles sont tués. On en ignore le nombre puisque ces avanies sont immédiatement effacées par la serpillière de l’Histoire, et les corps enterrés encore chauds. Pour s’assurer que l’émir Ahmad, alors occupé par une partie de chasse en Iran, ne va pas regagner son palais dare-dare, la fourbe Arabie Saoudite accepte de lui fermer sa frontière au nez.
Assis sur le trône, l’émir Khalifa fait une promesse qu’il ne tiendra jamais, celle de se satisfaire d’un revenu mensuel de 250 000 dollars, alors que son prédécesseur dérivait systématiquement le quart des recettes pétrolières nationales vers ses comptes en banque. En vérité, sur la base d’une « Constitution » à proposition unique, « L’État c’est moi », une règle toujours en vigueur, le nouveau calife ne tracera jamais de frontière légale entre les recettes publiques et sa fortune. En 1979, quand l’intégralité de Qatar Petroleum passe sous contrôle « national », autrement dit celui de la famille, le mode comptable reste flou. Certes, le brut qatari ne coule pas à gros bouillons comme celui du voisin saoudien, mais le flux est assez fort pour lancer les prémices de ce que Khalifa qualifie de « renaissance d’un Qatar moderne ». Autrement dit, un pays possédant l’eau courante, l’électricité, des routes, un aéroport, des téléphones, une police et une armée et, pourquoi pas, une politique étrangère.
Hélas, comme ces héros déchus que les censeurs staliniens effaçaient des photos officielles, l’émir Khalifa sera gommé de la saga de l’émirat. Les livres d’Histoire sont toujours écrits par les vainqueurs. En 1995, quand Khalifa sera chassé à son tour par son fils Hamad, l’actuel maître de Doha, le rôle de papa passe à la trappe. Pourtant l’émir Khalifa, grand ami de Paris, a développé une vraie stratégie pour l’avenir de son pays. […]
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