Présidentielle : une parodie d’élection
La cause était entendue depuis longtemps : le scrutin présidentiel du 9 octobre 2011 ne servirait qu’à donner un semblant de légitimité démocratique au septuagénaire président en exerce. Le rituel s’est déroulé comme prévu. Sans surprise, Paul Biya a été proclamé vainqueur de cette élection à un tour face à vingt-deux autres candidats, la plupart des faire-valoir suscités pour donner l’illusion d’un système démocratique avancé, où la pléthore de candidatures était donnée pour synonyme de dynamisme démocratique et de pluralisme politique intégral. La vingtaine de recours déposés devant la Cour suprême agissant en juge de la présidentielle n’y aura rien changé. Paul Biya devait gagner par tous les moyens, et il a gagné.
En amont, tout avait été organisé pour une énième « victoire » du candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir). Il s’est d’abord agi, à Yaoundé, de ruser avec les aspirations populaires à des élections organisées et gérées par une Commission électorale indépendante prenant le relais du ministère de l’Administration territoriale (ministère de l’Intérieur). La gestion partisane et chaotique du processus électoral par ce ministère avait été constamment décriée par l’opposition et les observateurs indépendants autrefois. Mais les bailleurs de fonds internationaux, dont dépend la survie du régime, ont fini par intégrer ces revendications démocratiques minimales dans la liste des conditionnalités indispensables à tout décaissement de fonds. Paul Biya s’est donc trouvé contraint de dessaisir le ministère de l’Administration territoriale de ses anciennes prérogatives électorales, exorbitantes, au profit d’une autre structure. Sauf qu’à la place de cette nouvelle entité, attendue comme indépendante, le chef de l’État a créé un ministère de l’Administration territoriale bis, dénommé Elections Cameroon (Elecam), dont tous les membres ont été nommés par lui et choisis parmi les militants actifs ou discrets de son parti politique.
Cette supercherie sera recouverte d’un manteau démocratique avec une loi votée en 2006 par une Assemblée nationale aux ordres de Biya. Le président-candidat venait ainsi d’assurer sa réélection sans problème, en se rendant maître du processus électoral.
Deux années plus tard, en 2008, Biya achevait de mettre en place le dispositif machiavélique pour empêcher toute alternance à l’occasion des élections de 2011. La Constitution d’alors lui interdisait de briguer un autre mandat. Le président a orchestré une révision de la loi fondamentale pour se présenter à nouveau devant les électeurs. Estimant qu’il s’agissait là d’une forme avancée de démocratie populaire, il a fait supprimer toute limitation de mandats, pour s’octroyer la possibilité de se maintenir au pouvoir ad vitam aeternam, au motif que le peuple pris en otage lui aurait accordé ses suffrages.
Face à ce putsch constitutionnel, la jeunesse camerounaise s’est mobilisée en masse. Peine perdue. Déterminé à enjamber des corps plutôt que de céder sur ses intérêts, le sieur Biya ne s’est pas gêné pour appeler l’armée à réprimer les manifestations de rue de février 2008, qualifiant ses compatriotes qui réclamaient le respect de la Constitution d’apprentis sorciers. La répression a été particulièrement brutale. Des forces d’élite ont envahi la ville de Douala notamment, avec un bilan des plus sanglants : plus de 150 morts selon des sources indépendantes concordantes. La révision constitutionnelle fut finalement votée dans une enceinte parlementaire encerclée par des soldats aux abois, mitraillettes au poing.
La phase trois de ce programme de processus électoral caricatural a consisté, pour le président sortant, à confisquer l’agenda électoral en gardant secrète, jusqu’au bout, la date des élections. Après avoir fait croire un moment qu’il anticiperait le scrutin, il n’en rendra publique la date qu’à quelques semaines du jour J. Impossible dès lors, pour les partis de l’opposition, de se préparer sérieusement.
Déboussolée par les manœuvres du candidat Biya, déstabilisée par l’adversité, désorganisée, l’opposition, notamment sa première force, le Social Democratic Front de l’anglophone John Fru Ndi, a d’abord appelé ses partisans à ne pas s’inscrire sur les listes électorales. Une façon de manifester son opposition aux manœuvres électoralistes du candidat président. Mais elle s’est ravisée à quelques mois de la clôture des inscriptions. Prise de court par les manigances du pouvoir, l’opposition n’a même pas eu le temps d’accorder ses violons et s’est rendue aux élections en rangs dispersés. « Suicidaire » dans un contexte d’élection à un tour, a déclaré l’un des ténors de cette opposition, Albert Dzongang, de la Dynamique pour la renaissance camerounaise.
La proclamation de la liste des candidats autorisés à concourir fut un autre moment pénible pour les patriotes camerounais. Une cinquantaine de candidatures a surgi de nulle part, et la Cour suprême a consenti à valider vingt-trois d’entre elles, dont deux repêchages. Le mal était fait. Le scrutin tournait au burlesque. L’opinion n’a pas eu trop de mal à identifier les candidatures suscitées par le pouvoir pour semer la confusion dans les esprits. Albert Dzongang a fustigé, en des termes durs, ces groupes de candidats « faire-valoir, inconnus, soutenus et financés par le parti au pouvoir » et les « chasseurs de primes, ces malins qui ont compris que l’élection présidentielle est une affaire juteuse ».
Le déroulement de la campagne a été tout sauf sérieux. Le candidat Biya a pris en otage les médias publics et l’espace aérien et terrestre, confinant ses adversaires dans des postures de nécessiteux. Des opposants ayant prévu des meetings dans des zones que devait visiter Biya ont été contraints à errer à l’aéroport, dans l’attente d’un hypothétique vol, l’espace aérien ayant été confisqué par le camp présidentiel. Dans les rues, il n’y a eu de place que pour des affiches géantes de Paul Biya se proclamant être « le choix du peuple ». Ce bon peuple, constamment méprisé, s’est vengé comme il a pu, notamment en laminant nombre de ces affiches dont l’insolence n’avait d’égale que l’exaspération de Camerounais à bout de nerfs, mais tétanisés par des décennies de répression, de brutalités et d’intimidations diverses. En s’abstenant massivement, les électeurs ont affiché leur défiance envers un système faisant d’eux de simples figurants, dans un décor planté sans eux.
Comme toujours dans ce genre de parodie électorale, le meilleur est pour la fin. Elecam a joué parfaitement sa partition, en organisant l’une des élections les plus chaotiques de l’histoire du pays, pourtant déjà tristement réputée en la matière. Des candidats, tel Albert Dzongang, n’ont trouvé leur nom sur aucune liste, des électeurs de même, qui sont pourtant allés de bureau de vote en bureau de vote. Des partis d’opposition ont dénoncé et documenté des votes multiples, des scrutateurs chassés des bureaux, l’utilisation d’une encre délébile favorisant la fraude, des bourrages d’urnes, et des observateurs de la sous-région se sont comportés en touristes au côté des pontes du RDPC.
Sans conviction, vu l’inféodation du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif caractéristique du Cameroun actuel, des opposants ont déposé des recours devant la Cour suprême exigeant l’annulation partielle ou totale de ce scrutin. Laissons à Albert Dzongang, très acerbe contre Biya pendant la campagne et privé sans doute de sa carte d’électeur pour cette raison, le mot de la fin : « Cette élection est une mascarade émaillée de nombreuses irrégularités. C’est une histoire de charlot. »