Comment Kinshasa, accusée de bafouer les libertés et dont la coopération avec la Chine s’intensifie, a rusé pour obtenir la tenue du sommet de la Francophonie. Un succès à l’international, mais aussi face à une opposition divisée, qui ne parvient toujours pas à saisir les nombreuses occasions de percer.
La République populaire de Chine ne fait pas partie de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Mais l’empire du Milieu sera bien présent, sur un tout autre plan, au 14e sommet de l’organisation qui s’ouvre le 12 octobre à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC). Le site principal devant abriter les travaux de l’OIF n’est autre que le Palais du peuple, construit au milieu des années 1970 par la Chine, sur le modèle de l’Assemblée nationale populaire de Beijing, dont l’architecture et la stature grandiose avaient particulièrement plu au président d’alors, Mobutu Sesse Seko, de passage dans la capitale chinoise.
Au moment où l’incertitude planait encore au sujet de la tenue ou non du sommet francophone à Kinshasa, des ingénieurs chinois s’attelaient, eux, à retaper cet imposant édifice qui a fait la fierté du pays, avant de tomber en décrépitude faute d’entretien digne de ce nom. Les Chinois sont, en effet, au cœur des travaux de réhabilitation ou de modernisation des infrastructures entrepris par le gouvernement pour redorer l’image de la capitale congolaise. Autrefois appelée « Kin la belle », la plus grande ville du pays s’est progressivement muée en « Kin la poubelle », avec ses bâtiments défraîchis, son assainissement défaillant et la prolifération de décharges d’ordures ménagères à ciel ouvert.
Avant sa rénovation, le Palais du peuple n’avait pas échappé à cette décadence générale. Même si la mémoire collective congolaise n’avait pas oublié que ce lieu avait abrité la fameuse Conférence nationale qui inaugura le changement politique en 1991, il faisait peine à voir avec ses vitres cassées et ses murs décrépis et fissurés par endroits. Finalement, les deux chambres du Parlement, l’Assemblée nationale et le Sénat, qui y ont élu domicile, ont permis au bâtiment de ne pas sombrer dans l’oubli.
À un mois de la tenue du sommet francophone, le Palais a retrouvé son lustre grâce aux travaux de réfection et de peinture, certes. Mais aussi sur un tout autre plan : à l’ouverture de sa deuxième session ordinaire du 15 septembre, la représentation nationale – obligée de siéger ailleurs en attendant la fin des travaux et du sommet de l’OIF – a marqué des points au sein de la population, jusque-là méfiante à son égard, en prenant a pris à bras-le-corps les problèmes auxquels le pays est confronté, tout en engageant la bataille pour la décrispation de la vie politique, grippée depuis l’élection présidentielle litigieuse de novembre 2011, et la réhabilitation des libertés publiques constamment bafouées.
La session parlementaire de septembre, traditionnellement consacrée à l’examen du projet de loi des finances pour l’année à venir, a fourni au président de l’Assemblée nationale, Aubin Minaku Ndjalandjoko, l’opportunité d’évoquer sans faux-fuyant la situation de guerre dans l’Est, qui perdure depuis plusieurs mois : « J’aimerais rappeler à l’auguste assemblée que la session ordinaire de septembre s’ouvre au moment où notre pays traverse encore un moment tragique de son histoire du fait de la guerre d’agression qui embrase sa partie nord-est avec l’implication des troupes rwandaises et des groupes rebelles. En effet, depuis le mois d’avril dernier, la RDC fait face à une agression du Rwanda en association avec les troupes rebelles du mouvement dit M23. »
Ayant toujours fait profil bas sur le sujet, l’Assemblée nationale est, cette fois, allée plus loin : « L’Assemblée générale de l’Onu devrait insister sur la requalification du mandat de la Monusco [la Mission des Nations unies sur place, ndlr] en vue d’un engagement opérationnel plus efficient », a déclaré Aubin Minaku Ndjalandjoko. Il a aussi appelé la communauté internationale à accorder plus de moyens aux organismes humanitaires pour protéger et porter secours à la population civile.
La sortie de Minaku, un proche du président Joseph Kabila, est significative. Kinshasa, ragaillardi par les rapports de l’Onu et d’ONG internationales ayant clairement accusé le Rwanda voisin de soutenir militairement le M23, entend imposer ce sujet à l’ordre du jour du sommet de la Francophonie. Après avoir été longtemps sur la défensive face au lobbying d’ONG et de l’opposition congolaise s’employant à faire délocaliser le sommet pour cause de non-respect des droits de l’homme et libertés bafouées, le pouvoir a, finalement, décidé d’aborder les sujets qui divisent les pays européens et les États-Unis. Comme la question des guerres successives dans l’Est et la tolérance affichée vis-à-vis des mouvements criminels qui sèment la désolation. Le pouvoir a adopté une stratégie face aux tergiversations du président français François Hollande, qui a fait mine de ne pas savoir s’il allait venir ou pas à Kinshasa afin d’obliger le régime de Kabila à donner des gages en matière de respect des droits de l’homme. Il a attaqué la France et d’autres pays tolérant les viols et massacres de populations à l’Est, coupable de pratiquer une politique de « deux poids, deux mesures » en matière de violation des droits de l’homme, tout en envoyant, via le Parlement, des signaux d’ouverture en direction de la communauté internationale.
Deux points importants qui faisaient l’objet de récriminations incessantes de la France et d’autres pays européens ont aussi été inscrits à l’ordre du jour de la session parlementaire. D’une part, la restructuration de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), fortement critiquée par l’opposition et la plupart des observateurs électoraux pour sa partialité et la mauvaise organisation du scrutin présidentiel de novembre dernier, et, d’autre part, la mise en place d’une Commission nationale des droits de l’homme censée garantir leur respect. Ces questions font l’objet de deux textes législatifs. Le premier est un projet de loi modifiant et complétant la loi organique du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). La Ceni sera désormais composée, à parts égales, de représentants du parti au pouvoir et de ceux de l’opposition, à qui seront adjoints des membres de la société civile. Le deuxième texte est une proposition de loi instituant la Commission nationale des droits de l’homme, qui devrait jouir d’une autonomie administrative et financière et avoir la garante de sa pérennité et de l’indépendance de ses membres.
En même temps que Kinshasa a contenté les pays européens, qui n’avaient plus de prétexte officiel pour boycotter le sommet de l’OIF, elle a essayé de détendre l’atmosphère politique en répondant aux revendications phares que l’opposition radicale, réunie autour du leader Étienne Tshisekedi wa Mulumba, soulève depuis la présidentielle calamiteuse du 28 novembre 2011.
Toutefois, l’opposition congolaise ne se fait pas d’illusion. Après avoir perdu la bataille de la délocalisation du sommet de Kinshasa, elle s’emploie à réviser sa stratégie. Tshisekedi entretient le suspense sur sa participation à la rencontre prévue par l’Élysée entre François Hollande et la classe politique congolaise. Alors que le « viendra ? viendra pas ? » ne concernait jusqu’alors que le président français, il s’applique désormais au leader de l’opposition. Le chef de l‘Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) n’a que moyennement apprécié la décision de Hollande de se rendre à Kinshasa, ses proches estimant que le chef de l’État français avait ainsi fait passer les intérêts de la France avant la défense des valeurs démocratiques. À l’UDPS, la ligne conductrice est désormais : « Hollande ou pas, Francophonie ou pas, les problèmes du Congo ne seront pas réglés par le sommet de l’OIF. » L’opposition étant très désunie, une partie des formations politiques, souvent mues par le pouvoir, travaille à rencontrer le Français tandis qu’une autre, regroupée autour de Tshisekedi, estime que cette rencontre n’est qu’un épiphénomène.
L’opposition radicale entend aussi profiter de la tribune du sommet d’octobre pour faire entendre sa voix. Il se murmure, à Kinshasa, que des vidéos retraçant les massacres ayant suivi la présidentielle de novembre (trente-trois morts, selon l’Onu) seront projetées et remises aux participants, de même que des DVD sur la cérémonie de prestation de serment de Joesph Kabila, dans un camp militaire fortifié. L’opposition compte également faire du bruit autour de l’assassinat toujours non élucidé de l’activiste des droits de l’homme, Floribert Chebeya. Le procès des assassins présumés du secrétaire exécutif de la Voix des sans voix, qui devait s’ouvrir le 11 septembre pour faire la lumière sur l’implication ou non du directeur de la police nationale, a été renvoyé au 23 octobre. Après le sommet de l’OIF.