La grande régression
Dans l’analyse de la situation socio-économique du Cameroun, un terme revient sans cesse : inertie, suivi d’un autre : stagnation. Cela est vrai dans de nombreux domaines, sauf dans celui des indicateurs de la pauvreté, qui montrent que les choses bougent. Mais dans le mauvais sens. Il y a bien une accélération, mais de la pauvreté qui croît sans cesse… Selon les dernières statistiques onusiennes, 40 % des Camerounais vivent sous le seuil de la pauvreté, avec à peine 1,10 euro par jour. Le gouvernement Biya prétend pourtant lutter contre ce fléau et a même élaboré un document-cadre dans ce sens. Les effets se font cependant attendre, tandis que la paupérisation de la population se poursuit à une vitesse vertigineuse. Chaque année apporte son lot de nouveaux pauvres constitués d’anciens travailleurs licenciés (les « compressés », comme on dit) et de ceux n’ayant pu maintenir leur train de vie. Il y a de quoi : l’environnement économique est morose, l’inflation galope et la baisse du pouvoir d’achat quasi systématique pour le citoyen lambda. À ces nouveaux pauvres, s’ajoute le contingent de nouveaux diplômés qui inondent chaque année un marché du travail saturé. Entre 2001 et 2007, 900 000 démunis de plus sont venus grossir le peuple des pauvres.
De manière générale, les conditions de vie se sont considérablement dégradées en bientôt trente années de présidence Biya. Le taux de chômage grimpe et avoisine les 40 % (en l’absence de statistiques officielles fiables). Le salaire minimum est, quant à lui, le plus dérisoire d’Afrique centrale. Par le passé, pour expliquer ces calamités, il était d’usage à Yaoundé d’incriminer la dépréciation des cours des matières premières sur le marché international et les programmes d’ajustement structurel du FMI et de la Banque mondiale prescrivant le désengagement de l’État des secteurs non marchands pour mieux rembourser la dette extérieure. Cette « déresponsabilisation » n’est plus d’actualité depuis les remises et annulations de dettes opérées par les bailleurs de fonds. « L’espoir que fondaient les Camerounais dans ces remises de dette s’est rapidement volatilisé. On se demande bien à quoi ont servi les fonds dont on disait qu’ils allaient améliorer le quotidien des citoyens », s’insurge Y. Mbala, d’une association de consommateurs.
En dépit des discours officiels tendant tous à maquiller l’amère réalité, un tiers des Camerounais n’a toujours pas accès à l’eau potable et à l’électricité. Même dans les grandes villes, comme la capitale Yaoundé et la métropole économique de Douala, l’eau potable n’est pas disponible dans tous les quartiers. Le spectacle d’hommes, de femmes et d’enfants parcourant des kilomètres, un récipient sur la tête pour recueillir de l’eau potable y est devenu fréquent, au point de ne plus choquer grand monde. À Douala, les anecdotes sont nombreuses au sujet d’une eau prétendument potable, mais colorée le plus souvent en rouge, alors que dans les écoles primaires on continue d’enseigner aux élèves que l’eau potable est incolore et inodore… Même dans les quartiers desservis par la Camerounaise des eaux, l’opérateur national, les coupures d’eau sont fréquentes et durent parfois des jours.
Il en est de même pour les coupures intempestives de courant électrique. Le réseau est resté pratiquement inchangé depuis des décennies, malgré l’accroissement de la population et l’urbanisation accélérée. Le potentiel hydro-électrique du pays, troisième de l’ensemble du continent africain, aurait pourtant suffi à combler les besoins en électricité des ménages et des entreprises. Mais l’absence d’investissements pour rénover les installations existantes et en réaliser d’autres fait aujourd’hui du Cameroun un nain énergétique.
Dans le secteur de la santé, la situation est encore plus critique. Les hôpitaux publics où il manque de tout sont devenus des mouroirs et des lieux de marchandages divers. Dans certaines unités, chaque patient doit se munir de ses propres instruments en raison de la pénurie de matériels de soins. Les médecins qui ont pu s’en procurer par leurs propres moyens tentent comme ils peuvent de rentrer dans leurs fonds en imposant des frais indus aux malades. Les pénuries de médicaments sont aussi fréquentes. Pendant plus de deux mois, l’insuline pour diabétiques était introuvable dans les hôpitaux où ils coûtaient moins cher, mais aussi dans les pharmacies privées. On ose imaginer le bilan pour le presque million de diabétiques recensés au Cameroun. Pour une ville de 2,5 millions d’habitants comme Douala, il n’existe qu’une seule unité d’hémodialyse pour les insuffisants rénaux et, très souvent, une seule machine fonctionne, condamnant de nombreux patients à la mort. L’espérance de vie à la naissance s’est effondrée, se situant désormais à 47 ans !
La couverture sociale n’existe pas pour la majorité des Camerounais. Pour se soigner, il faut généralement y laisser toutes ses économies ou s’endetter quand on n’en a pas. La situation tourne au drame dans les zones rurales laissées à l’abandon et désertées par les jeunes, qui vont grossir nombre de désœuvrés dans les villes. L’autosuffisance alimentaire, autrefois fierté du pays du temps d’Ahmadou Ahidjo (prédécesseur de l’actuel chef de l’État), n’est plus qu’un vague souvenir. Des pénuries alimentaires sont fréquentes, surtout dans les zones septentrionales, région d’origine de l’ancien président. Alors, on recourt à l’aide internationale pour enrayer la famine et la malnutrition.