Un an après sa prise de fonction, le président Jonathan doit affronter les islamistes de Boko Haram et la grève généralisée. Mais son plus grand défi reste l’éradication de la corruption qui fait tant de mal à la réputation du pays, alors que le pays est en passe de devenir « émergent ».
Alors que Goodluck Ebele Jonathan termine sa première année de présidence (d’abord par intérim, à la mort d’Umaru Yar’Adua, puis élu le 16 avril 2011), les défis auxquels il est confronté restent nombreux. Le plus important est celui que l’on nomme généralement le « grand parapluie de la gouvernance ». Pour beaucoup, cela s’applique avant tout aux réformes économiques et administratives. Le concept avait été initié sous la présidence d’Olusegun Obasanjo, de 1999 à 2007, mais été plus insistant au cours de son second mandat.
Comme aujourd’hui, la gestion de l’économie était largement aux mains de Ngozi Okonjo-Iweala. Quand elle n’essaie pas de mettre sur les rails l’économie du pays encore déséquilibrée, mais potentiellement prometteuse, elle occupe différents postes importants à la Banque mondiale. Cela lui permet de venir à Abuja avec une pléthore de contacts et de soutiens de donateurs. Ce sont ces contacts qui ont aidé le Nigeria à résoudre le problème de sa dette massive en 2005. On espère vivement que, cette fois encore, elle pourra aider le Nigeria à rester dans la course. L’économie, qui connaît un taux de croissance de plus de 7 % et fait de ce pays un nouveau marché émergent des plus attractifs, contraste avec un système gouvernemental en pleine crise. Il doit notamment affronter aujourd’hui les questions de sécurité posées par l’essor de l’organisation islamiste Boko Haram, et mouvement de grèves et d’indignation face à la suppression des subventions massives au carburant, comme le demandent depuis longtemps les donateurs. Jusqu’à présent, les gouvernements successifs s’étaient méfiés de cette mesure, à cause de l’effet réel sur le coût de la vie.
Les réformes économiques ont également impliqué la mise en ordre du système bancaire. Celui-ci a subi ces derniers mois plusieurs opérations de nettoyage, ordonnées de façon autoritaire par le gouverneur de la Banque centrale, Lamido Sanusi. Celui-ci a poursuivi la rationalisation de la nécessaire consolidation du secteur, introduite en 2005 par son prédécesseur, Chukwuma Soludo. Le Nigeria peut s’estimer heureux que son économie soit entre de bonnes mains, alors qu’il traverse de très fortes turbulences politiques. Les anciennes réformes, désormais affermies, comprenaient des procédures d’acquisition renforcées et la mise en place d’un fonds souverain afin de responsabiliser la gestion des fonds. Ces derniers avaient en effet l’habitude de disparaître dans l’opaque « excédent brut » se nourrissant des augmentations du prix du pétrole.
Aujourd’hui, le Nigeria, qui a longtemps fait figure de repoussoir aux investissements, a enfin maîtrisé les immenses obstacles ayant alimenté cette perception, tant sur le plan national qu’international. À savoir le secteur pétrolier, longtemps instable, et les faibles réserves d’énergie électrique. Ces deux secteurs ont été les victimes de la plaie politique qu’est la corruption endémique au Nigeria. Celle-ci a commencé par inquiéter par son ampleur lors du boom pétrolier, dans les années 1970, touchant à la fois les gouvernements militaires de l’après-guerre civile et le régime civil de la IIe République. Cependant, c’est sous les régimes militaires d’Ibrahim Babangida (1985-1993) et de Sani Abacha (1993-1998) qu’elle a atteint des proportions légendaires.
Après 1999, sous la IVe République, le président Obasanjo a promis une nouvelle politique anticorruption. Il a mis en place la Commission indépendante sur les pratiques de corruption (ICPC) confiée au très respecté juge Muhammad Mustapha Adebayo Akanbi. Elle était chargée d’enquêter – et, si nécessaire, d’engager des poursuites – sur la corruption dans la vie publique. Mais les procédures étaient trop lentes et les actions trop prudentes pour avoir un impact sérieux sur la lutte du fléau. Du coup, avant la fin de son premier mandat, Obasanjo a créé une agence complémentaire dépendant de la police, la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC). Un jeune policier ambitieux du Nord, Nuhu Ribadu, en a eu la direction. Ce n’est que durant le second mandat d’Obasanjo qu’elle a commencé réellement à faire des vagues. En tant que corps de police, elle avait l’avantage d’avoir des pouvoirs directs. Ses premiers succès ont touché des criminels bien connus, impliqués dans un phénomène qui a donné aux Nigérians sa mauvaise réputation internationale. Quatre cents affaires « 419 » – relevant de l’Advance Fee Fraud, mieux connue sous le nom « 419 », numéro de l’article de la législation anticorruption concerné – ont ainsi été couronnées de succès.
Les attributions de l’EFCC comprenaient également le blanchiment d’argent. C’est à ce sujet que l’opinion publique intérieure, qui ne se faisait plus d’illusion, a entendu parler de Ribadu. Certains des plus grands « blanchisseurs » n’étaient autres que des gouverneurs. Deux affaires retentissantes ont concerné les gouverneurs de l’État du Plateau (Joshua Dariye) et de l’État de Bayelsa (Dieprey Alamieyeseigha). Tous deux ont été arrêtés à Londres en possession des valises pleines de billets de banque. Ils n’ont comparu devant aucun tribunal, bien que l’ancien gouverneur de Bayelsa ait passé quelque temps à la prison de Brixton. Dans les deux affaires, l’EFCC a travaillé étroitement avec la Metropolitan Police de Londres (le MET), dans le cadre d’une coopération exemplaire qui se poursuit encore aujourd’hui.
Plusieurs donateurs ont chaleureusement loué les activités de Ribadu, et cela a valu à la Commission des financements internationaux. Cela a aussi projeté Ribadu au premier plan d’une controverse : certains, en effet, l’ont accusé de ne s’attaquer qu’aux ennemis d’Obasanjo. Peut-être que cela est vrai (et nombreux sont ceux qui pensent qu’Obasanjo est loin d’avoir été propre…). Mais, si tel a été le cas, le public nigérian lui a pardonné, car il voyait enfin quelqu’un prêt à affronter les politiciens véreux d’envergure, ne se contentant pas d’éliminer les seconds couteaux.
Une fois Obasanjo parti, l’administration d’Yar’Adua, son successeur, ne pouvait être que sous l’influence de plusieurs personnalités clés ayant eu maille à partir avec Ribadu. De fait, le chef de l’EFCC a d’abord été humilié avant d’être renvoyé de la police. Il s’est alors impliqué à fond en politique, se présentant comme candidat du principal parti d’opposition, l’Action Congress of Nigeria (ACN). Sa remplaçante à l’EFCC, Farida Waziri, un autre haut gradé de la police, a juré de poursuivre la lutte contre la corruption. Mais le sentiment général a été qu’elle n’était pas capable de s’opposer à la clique corrompue qui entourait Yar’Adua, dont sa femme, Turai. Sans doute le président n’était-il pas au courant de certaines de leurs activités, même si on le sentait de plus en plus mal à l’aise. Bref, la campagne de l’EFCC manquait de « carburant ».
En octobre 2011, au cours d’une réunion du Comité du Parlement britannique sur le Nigeria, un responsable de la police, l’inspecteur-chef Jonathan Benton, du Commandement spécial économique et du crime au Metropolitan Police’s Economic (MET), a déclaré qu’il y avait eu une période sous Yar’Adua où la coopération avec l’EFCC semblait « ralentir », mais qu’elle connaissait maintenant une amélioration. Le test le plus important a été l’affaire de l’ancien gouverneur de l’État du Delta, James Ibori, qui a été extradé de Dubaï en Grande-Bretagne en avril 2010, sur la base d’une accusation de blanchiment d’argent, avec des preuves fournies par l’EFCC. Ses biens à Londres, évalués à 35 millions de dollars, ont été confisqués. Sa femme, sa sœur et deux associés politiques étaient déjà en prison à Londres, eux aussi accusés de blanchiment d’argent. Ibori doit être jugé par le tribunal de Southwark Crown, dans le sud de Londres, au début de cette année.
L’on n’a pas beaucoup parlé de cette affaire, mais cela changera avec l’ouverture du procès, pratiquement le premier du genre. Elle est, en effet, particulièrement explosive au Nigeria, car Ibori était au centre de la clique Turai et possède encore d’immenses ressources qui pourraient alimenter des troubles. On a dit qu’il avait été le principal financier de la campagne électorale de Yar’Adua en 2007. Autre indice parlant de la sensibilité de l’affaire : Farida Waziri a été remerciée de l’EFCC en décembre dernier. Elle doit être remplacée par Ibrahim Lamorde, qui avait été l’adjoint de Ribadu mais avait été marginalisé pendant les années Waziri. Nombreux sont ceux qui espèrent un nouveau nouvel élan de la campagne anticorruption. Mais la propension grandissante de l’Assemblée nationale à exercer un contrôle sur cette question donne quelques inquiétudes. « Ce sont aussi des politiciens », dit une source proche de l’EFCC.
À chaque changement de régime, la population et les observateurs se posent toujours la même question : jusqu’où les nouvelles autorités pourront-elles aller dans la lutte contre la corruption ? La question se pose donc pour le président Jonathan. Pour le moment, ses capacités dans ce domaine – comme sur d’autres aspects de la gouvernance – doivent encore être testées. En espérant qu’il saura pousser les limites le plus loin possible.