Deux ans après sa réélection du 9 octobre, le chef de l’État soufflera sa 80e bougie. « Il est encore jeune et rayonnant », se félicitait il y a deux mois un militant de son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), lors du congrès dudit parti convoqué pour investir Paul Biya comme candidat à la présidentielle de 2011. Un fait aura retenu l’attention du public tout acquis au presque l’octogénaire : à peine celui-ci avait-il lancé, dans un effet d’annonce, qu’il était temps de rénover le parti et de laisser plus de place à la jeunesse, que des applaudissements ont fusé dans la salle. Instinctivement, les militants venaient de porter au grand jour leurs revendications sur la nécessité de rompre avec la gérontocratie au pouvoir au sein du parti-État comme dans l’appareil officiel d’État, où les jeunes exerçant des postes à responsabilité sont rares.
Que peut-on attendre d’un président âgé de 78 ans, entouré de personnes de sa génération ? Et, surtout, qu’espérer de plus d’un homme ayant déjà géré le pays près de trois décennies, avec les conséquences politiques, économiques et sociales désastreuses ? Cette interrogation est revenue comme une antienne tout au long de la campagne électorale, animée par une opposition décidée à mettre en avant le piètre bilan du président sortant pour prouver son incapacité à faire entrer le Cameroun dans une nouvelle ère.
« Le sentiment général qui prévaut, c’est que Paul Biya est un grand-père dépassé, un homme du passé à qui on doit dire qu’il peut faire valoir ses droits à une retraite bien méritée », ironise Okili Bessigui, entrepreneur en bâtiment à Douala. Pendant la campagne, les Camerounais ont pu mesurer le fossé qui les séparait – sépare – de leur président. Ils s’attendaient à un mea culpa de leur président face à son médiocre bilan. Il leur a répondu, via la salle de militants rassemblés au palais des congrès de Yaoundé : en vingt-neuf ans, « beaucoup a été fait, beaucoup a été accompli, malgré les obstacles, les difficultés, malgré les crises et leurs multiples conséquences. Nous devons être fiers des résultats obtenus dans des conditions si difficiles ». L’image d’un président totalement déconnecté des réalités de son pays s’est alors durablement incrustée dans l’opinion.
Devant les grosses déceptions de ses compatriotes, Biya n’a plus grand-chose à proposer. L’« homme-lion » n’a rien trouvé d’autre que la transformation de son slogan de la campagne de 2004, « les grandes ambitions » en « grandes réalisations ». Exotique trouvaille de communicants français en panne d’inspiration, mais grassement rétribués. Biya a assumé sans pudeur, et même avec l’arrogance et le mépris familiers : « Les grandes ambitions d’hier vont devenir les grandes réalisations. Et, à partir de janvier 2012, le Cameroun sera un vaste chantier. » Les Camerounais ne croient plus aux promesses électoralistes non tenues de Biya. Ils attendent de voir. Si les chantiers prévus, qui vont de la construction de ports en eau profonde à la réalisation d’infrastructures routières et ferroviaires, de barrages hydrauliques et autres centrales thermiques, étaient effectivement ouverts, la vie des citoyens s’en trouverait changée.
Toutefois, comme le régime a par le passé peiné à ouvrir des chantiers et, a fortiori, à les terminer, la méfiance est de rigueur. Beaucoup, à l’instar d’Albert Dzongang, de la Dynamique pour la renaissance nationale, candidat opiniâtre, s’interrogent : comment Biya procédera-t-il donc pour accomplir en sept années ce qu’il n’a pu réaliser en trente ans ? Un autre candidat, Hubert Kamgang, du Parti de l’avant-garde panafricaine, a clairement fait savoir que Biya n’est pas l’homme qu’il faut pour l’émergence du Cameroun, programmée par le chef de l’État pour 2035. Or, en 2035, Biya sera âgé de 102 ans… D’où, selon Kamgang, la nécessité de changer de président dès à présent, au profit d’un leader plus jeune et surtout plus proche des préoccupations de ses compatriotes.
Biya a posé, deux jours avant le vote du 9 octobre, la première pierre de l’un des projets phares du septennat à venir : le port en eau profonde de Kribi, dans le sud-ouest. Une grande « réalisation » ? Surtout un projet considéré par Hubert Kamgang comme une calamité : « Le président semble compter sur l’extraction massive des matières premières et leur évacuation vers les pays occidentaux. Le projet consiste en la construction d’une ligne de chemin de fer jusqu’à Kribi, où le nouveau port prendra le relais pour l’exportation, sans transformation locale, des minerais du pays qui seront ainsi bradés, hypothéquant l’avenir des générations futures. » Le leader politique se proposait alors d’empêcher Biya d’atteindre un tel objectif.
Ce qui a été présenté par le président candidat comme projet de gouvernement sous la forme des « grandes réalisations » n’est en réalité que le dépoussiérage d’un document publié en 2009, le Document de stratégie pour la croissance et l’emploi. Son ambition : réduire la pauvreté de 10 % entre 2010 et 2020 grâce, notamment, à une croissance à deux chiffres. Le problème est que « ce document, fruit de l’effort national, a été présenté comme le programme d’un candidat », s’insurge un membre du parti Manidem, d’Anicet Ekané. Plusieurs personnalités et organisations d’horizons divers y ont participé, ce que ne dit pas sa version présidentielle relookée : Vision 2035, date annoncée de l’émergence du pays.
Sur la forme aussi, le président s’est avéré en déphasage avec son peuple. Ses compatriotes espéraient une campagne présidentielle au moins de la même trempe que celles de Côte d’Ivoire ou du Bénin, avec des affiches de campagne modernes et des débats politiques de haute tenue entre différents candidats. Mais Paul Biya a pratiquement monopolisé l’espace politique, au propre comme au figuré, « trahissant ainsi son penchant pour le parti unique et son aversion pour le pluralisme », se désole Florent Waché, professeur dans un lycée de Bafoussam, dans l’Ouest.
S’étant autoproclamé « le choix du peuple », Biya a inondé le paysage d’affiches géantes sur lesquelles il apparaissait seul, comme pour bien marquer sa distance d’avec le peuple. « Sur ses affiches de 2004, au moins voyait-on le peuple derrière le président, qui apparaissait tel un monarque dirigeant des ouailles tenues à distance, fait remarquer un publiciste de Yaoundé. Sept ans plus tard, le peuple a disparu. »
L’éloignement d’avec ses concitoyens n’est pas nouveau chez Paul Biya, qui l’a adopté comme méthode de gouvernement. Surnommé par certains le » président par intermittence », en raison de ses séjours prolongés à l’extérieur qui lui donne des airs d’éternel vacancier, Biya ne préside, dans le meilleur des cas, que deux séances de conseils des ministres dans l’année. Il se rend rarement dans le pays profond, surtout quand il y existe des foyers de contestation potentiels. Il n’a pas mis les pieds à Douala pendant vingt ans avant d’y passer en coup de vent au moment de boucler sa campagne électorale. « Biya est un président très souvent absent de son poste, qui se promène dans le monde pendant que son peuple souffre », conclut, amer, Ahala, un étudiant de l’université de Yaoundé II.