Le géant britannique de l’industrie pharmaceutique, GlaxoSmithKline (GSK), et l’ONG américaine présente dans le monde entier, Save the Children, viennent d’établir « un partenariat novateur », selon Justin Forsyth, le directeur général de l’ONG. Officiellement, GSK formera (à quoi ?) pendant cinq ans son personnel soignant et financera des projets en République démocratique du Congo et au Kenya. C’est-à-dire que l’ONG utilisera sa chlorhexidine (désinfectant dentaire appliqué au cordon ombilical des nouveau-nés) et lancera un antibiotique en poudre pour lutter contre la pneumonie. En contrepartie, Save the Children va participer à la recherche et au développement de médicaments pour enfants « afin d’accélérer les progrès concernant les actes médicaux innovants susceptibles de sauver la vie des enfants de moins de 5 ans », selon le communiqué commun.
Justin Forsyth, arrivé à la tête de l’ONG en 2010, le reconnaît : « Dans le passé, Save the Children ne se serait probablement pas engagé dans un partenariat avec une compagnie pharmaceutique comme GSK. » Pourtant, le « passé », c’est décembre 2012, lorsque GSK était lourdement condamné par un tribunal argentin à indemniser les familles de quatorze bébés tués par un vaccin expérimental lors de tests illégaux. En 2004 déjà, selon le journal américain The Observer, le géant avait sponsorisé quatre essais cliniques sur des enfants noirs et hispaniques infectés par le VIH. Ils étaient orphelins ou de parents incarcérés ou disparus, placés à l’Incarnation Children’s Centre, œuvre de bienfaisance catholique.
Le manque d’éthique de Glaxo, très célèbre en Amérique latine pour ses essais cliniques, ne s’arrête pas là. L’Avandia, antidiabétique, et le Tamiflu, antiviral contre la grippe A et B, lui ont valu quelques procès : les médicaments frelatés de l’usine de Cidra, à Porto Rico, lui ont coûté 750 millions de dollars pour échapper aux poursuites aux États-Unis ; les vaccins antigrippe A (H1N1) (300 millions de doses dans le monde pour un chiffre d’affaires de 2,3 milliards d’euros) ont créé un scandale mondial pour avoir provoqué la narcolepsie chez certaines personnes, etc.
GSK a versé 23 millions de dollars et offert à Save The Children un fauteuil au conseil d’administration de son directoire pour la recherche et le développement.
L’arrivée de Justin Forsyth à la tête de ce qui ressemble plus aujourd’hui à une entreprise privée qu’à une ONG n’est pas anodine. Ancien d’Oxfam et fondateur d’Oxfam international, conseiller de Tony Blair (qu’il appelle « Tony ») et de Gordon Brown, son objectif est de faire entrer le secteur privé dans ce qu’il appelle le « charity », de manière active et contractuelle. Pour cela, il choisit ses collaborateurs les plus proches.
Rachel Parr, directrice par intérim des opérations, a passé vingt ans chez… Glaxo, dans la recherche, le développement et les finances. Fergus Drake a été conseiller de Tony Blair lorsqu’il était basé au Rwanda, conseiller du président Kagame et de son gouvernement. Auparavant, il a passé cinq ans chez Deloitte Consulting, la plus grande agence de conseil en management au monde. Ce « Monsieur Afrique » (séjours au Liberia, au Soudan [Sud], au Kenya et en Somalie, entre autres) a aussi travaillé pour Tearfund, une ONG internationale puissante et très chrétienne dont « l’objectif est de voir 50 millions de gens délivrés de la pauvreté spirituelle et matérielle grâce à un réseau mondial de 100 000 églises locales ». Peter Banks, a « une large expérience à la fois dans les multinationales et les entreprises plus petites », particulièrement dans le « secteur des entreprises pharmaceutiques, à la recherche et au développement ». « Sa compétence nous permettra de renforcer notre base financière puissante », peut-on lire sur le site de Save the Children. Brendan Cox, directeur de la stratégie, est aussi un ancien conseiller spécial de Gordon Brown et collaborateur de la Fondation Bill Gates.
L’arrivée de cet aréopage à la tête de Save the Children va-t-elle servir au mieux les intérêts de GlaxoSmithKline et lui ouvrir une voie royale en Afrique, où l’ONG et ses amis disposent d’un réseau immense ? Ce « partenariat innovant » ressemble à une OPA d’un grand groupe industriel prédateur sur une ONG. Une nouvelle étape dans l’évolution de l’« humanitaire » qui, depuis plusieurs années, a déjà franchi la ligne qui le séparait du business ?