Avec ses projets immobiliers extravagants et ses îles artificielles qui ont attiré la jet set internationale et autres vedettes du showbiz, Dubaï a illustré, tout au long de ce début de siècle, le nouveau capitalisme des pays du Golfe et ses folies des grandeurs. Mais le 25 novembre 2009, lorsque l’émirat et ses fleurons ont annoncé leur incapacité à payer leurs dettes à temps et demandé leur rééchelonnement auprès des banques internationales, cette success-story du désert a tourné au désastre économique et financier.
Ce fut un nouveau coup de tonnerre dans le ciel de l’économie mondiale déjà obscurci par les effets de la crise financière globale. Les rumeurs les plus folles ont parcouru les marchés internationaux, notamment sur le degré d’exposition des grandes banques internationales dans la crise de Dubaï. Fin 2009 et début 2010, les marchés financiers mondiaux ont également connu des moments difficiles, avec les négociations complexes sur le rééchelonnement de la dette des entreprises de l’émirat.
Le cœur n’était plus à la fête. Même l’inauguration de Burj Khalifa, la plus haute tour du monde avec ses 828 m, avait un goût amer. Heureusement, Dubaï fait partie des Émirats arabes unis et a pu compter sur un voisin beaucoup plus riche, l’Émirat d’Abu Dhabi. Celui-ci a accepté de jouer la carte de la solidarité en apportant à son voisin la rondelette somme de 20 milliards de dollars. En passant, il s’est permis de donner quelques leçons de bonne gestion et de prudence à un pays devenu très arrogant et hautain dans la région. Le sauvetage de Dubaï a finalement pu être lancé grâce aux revenus du gaz et du pétrole de son riche voisin : dix mois après cette crise sans précédent, un rééchelonnement a été conclu.
La question que se posent aujourd’hui beaucoup experts et spécialistes est de savoir où en est Dubaï. Est-il sorti de sa crise ? Et va-t-il reprendre sa croissance de plus belle ? Selon les pronostics et les prévisions des grandes institutions internationales, l’année 2011 s’annonce sous de bons auspices. L’économie de Dubaï devrait sortir de la récession dans laquelle elle a été plongée en 2009 et qui lui a valu une baisse du PIB de 3 %. Ce chiffre était d’autant plus catastrophique que le pays avait connu, entre 2000 et 2007, une forte croissance (8 %). L’année 2010 a enregistré un retour de la croissance de 1 %, mais c’est surtout au cours de l’année 2011 que cette progression devrait se renforcer pour atteindre jusqu’à 4 %.
Comment expliquer cette sortie de la dépression ? L’émirat de Dubaï s’est recentré sur ses activités traditionnelles qui ont fait son succès par le passé : le commerce, la logistique, le tourisme, le transport et les services. L’activité économique a également privilégié les entreprises qui ont construit le succès du pays comme la compagnie aérienne Emirates Airlines qui dessert les cinq continents ou l’entreprise Dubaï Port. La qualité de ses aéroports et ses ports – celui de Jebel Ali est le troisième au monde pour le ré-export après Honk Kong et Singapour, ainsi que la qualité générale de ses infrastructures ont fait de Dubaï un hub incontournable entre l’Asie et l’Afrique. En 2010, l’émirat a nettement bénéficié de la reprise du commerce international qui représente près de 40 % du PIB. En effet, si le trafic par conteneurs a chuté de 15 %, on a enregistré une importante hausse estimée à 6 % pour les importations et à 14 % pour les exportations lors des dix premiers mois de l’année. Cette tendance devrait, selon les estimations, se renforcer au cours des prochains mois.
Si Dubaï est en train de retrouver les chemins de la croissance, la crise est loin d’être terminée. Les experts considèrent que cette reprise est encore fragile et que les facteurs de risque sont encore importants. Le premier de ces risques, d’ordre macroéconomique, concerne l’ampleur de la dette qui se chiffre aujourd’hui à 120 milliards de dollars, soit près de 120 % du PIB. Par ailleurs, la capacité de Dubaï à honorer ses prochaines échéances, notamment celle de 30 milliards de dollars pour le milieu de l’année 2012, est mise en doute. Ces craintes sont d’autant plus justifiées qu’en décembre dernier, l’une des filiales de Dubaï Holding demandait un nouveau délai de paiement. Pour la troisième fois…
Plus menaçant encore pour les experts, le secteur immobilier sera au centre des risques qui pèseront sur ce pays les prochaines années. C’est ce secteur, faut-il le rappeler, qui a été à l’origine de la bulle qui faillit emporter cette économie à la fin de l’année 2009. L’accroissement rapide des projets immobiliers – souvent extravagants – et l’ouverture en 2003 du droit de propriété aux étrangers ont été à l’origine d’une euphorie sans précédent marquée par une explosion des prix et une spéculation importante, certains biens changeant à plusieurs reprises de propriétaire moyennant d’importantes plus-values. Cette bulle a explosé en octobre 2008 avec l’assèchement du crédit au niveau international et entraîné dans son sillage une chute sans précédent des prix estimée entre 40 et 60 %.
L’éclatement de la bulle immobilière a laissé derrière lui un secteur totalement sinistré qui met en péril l’avenir économique et le dynamisme futur de Dubaï. Certes, la place de l’immobilier n’est plus aussi importante dans l’économie nationale, représentant aujourd’hui à peine 10 % du PIB contre 20 % lors des années fastes 2007 et 2008. Mais le risque reste important, car cette crise est encore d’une grande ampleur. L’une de ses manifestations est liée à la faible occupation des grandes tours construites lors de l’euphorie. Aujourd’hui, on estime que 40 % de ces grands buildings sont vides et ce taux augmente nettement dans les nouveaux immeubles comme le tout flambant neuf Burj Khalifa qui reste vide aux trois quarts selon les estimations. Certes, la baisse des prix a encouragé plusieurs particuliers, installés dans les émirats voisins de Sharjah et de Oum Ajman parce que nettement moins chers lors de l’euphorie, à déménager à Dubaï. Plusieurs entreprises, comme l’agence d’informations financières Bloomberg ou la société de transports Aramex, ont également fait le pas. Mais ces arrivées ne vont pas régler les problèmes du secteur de l’immobilier, cette surcapacité continuant à peser lourdement sur les prix. Beaucoup d’experts soulignent que de nombreuses tours vont arriver sur le marché dans les prochains mois et renforcer une offre déjà trop importante par rapport à la demande. Même si certains projets sont à l’arrêt, les études montrent que les promoteurs ont intérêt à finir leurs projets à partir de 60 % d’avancement… et qu’il faudrait au moins sept ans pour absorber le déséquilibre entre l’offre et la demande.
Dubaï a certes retrouvé un peu de son lustre des années fastueuses avec une reprise de la croissance et un recentrage sur ses métiers traditionnels. Mais cette reprise reste fragile et les risques macroéconomiques ainsi que les effets de l’éclatement de la bulle immobilière continueront à peser encore lourd sur l’avenir.