La définition la plus courante de l’actuelle crise mondiale est celle d’une crise systémique et idéologique.
Certains parlent même d’une « crise de civilisation » qui comporte des dimensions économique, financière, climatique, énergétique, sociale et alimentaire, ayant mis en évidence, une fois de plus, non seulement l’incapacité du capitalisme à garantir les besoins et les droits de la population, mais aussi la faillite du paradigme néolibéral de la compétitivité et de la croissance illimitée, de l’autorégulation du marché.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le coût de la crise financière mondiale entre 2007 et 2010 dépassera les 4 000 milliards de dollars, « en additionnant les pertes liées à des dépréciations d’actifs financiers américains (2 712 milliards), européens (1 193 milliards) et japonais (149 milliards) ». De son côté, le Bureau international du travail (BIT), dans son rapport annuel sur les Tendances mondiales de l’emploi révèle que le nombre de sans-emploi dans le monde a atteint près de 212 millions en 2009, c’est-à-dire 34 millions de plus par rapport à 2007, à la veille de la crise économique mondiale. Cela correspond à un taux de chômage mondial d’environ 6,7 %.
Changement de tendance
Par ailleurs, la montée spéculative des prix du pétrole avait renchéri les coûts de production et du transport des aliments et s’est jointe aux spéculations boursières des matières premières déterminant une crise alimentaire aux proportions jamais atteintes. En effet, d’après l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 963 millions de personnes souffraient de faim en 2008, soit un habitant de la planète sur sept. Au cours de l’année 2009, toujours selon la FAO, le cap du milliard de personnes a été dépassé, soit un individu sur six.
En Amérique latine, la suraccumulation de capitaux fictifs n’a pas eu les mêmes conséquences qu’aux États-Unis, étant donné le niveau réduit de l’endettement des familles dans la région. L’impact ne s’est pas traduit dans l’impossibilité de récupérer des prêts mais dans la fuite de capitaux vers les maisons mères du Nord pour pallier le manque de liquidités dans les pays du Nord. Ces retraits affectent déjà le quart des ressources des institutions financières de la région, menaçant la survie des segments internationalisés, tels les fonds de pension. En deuxième lieu, la surproduction industrielle des « métropoles », notamment du secteur automobile, a réduit les exportations des voitures assemblées au Brésil, en Argentine et au Mexique, et a conduit à la suppression dramatique de milliers d’emplois, en plus des pertes économiques.
Mais deux facteurs sans connexion apparente sont les principaux responsables de la crise en Amérique latine : d’un côté la brusque diminution des prix des matières premières d’exportation qui, au cours des cinq dernières années antérieures à la crise, avaient permis une nette amélioration des termes de l’échange – plus 33 % en moyenne par rapport à la décennie précédente – en permettant d’engranger des recettes supérieures à la dette externe en 2006 et 2007. De l’autre coté, la forte réduction des transferts monétaires des millions de travailleurs émigrés aux États-Unis et en Europe qui ont perdu leur emploi et dont le montant des transferts constitue un élément fondamental de survie de millions de familles dans de nombreux pays latino-américains.
Ce changement de tendance affecte maintenant les balances commerciales et les budgets publics. La relative prospérité qu’avait permise depuis 2003 une croissance régionale annuelle de 5,5 % n’est plus à l’ordre du jour. Elle n’était plus que de 3,3 % en 2008 et 1,9 % en 2009.
En effet, dans son dernier rapport sur le commerce international, présenté le 7 janvier 2010, la Commission économique pour Amérique latine (Cepal) des Nations unies signale que les importations dans la région sont tombées de 25 % en valeur tandis que les exportations ont eu une contraction de 24 % en valeur, représentant une chute combinée de 15 % dans les prix et 9 % dans le volume. Cette réduction simultanée n’a pas de précédent dans l’histoire récente, et il faut remonter à 1937 pour trouver une situation similaire. La récupération économique remarquée pendant le dernier quart de 2009 est due, entre autres, au rétablissement partiel des prix de diverses matières premières, tels le cuivre, le zinc, le pétrole, le blé et le soja, ainsi qu’aux hauts niveaux de la demande soutenue par la Chine.
Cette contraction des exportations a été très différente d’un pays ou d’une sous-région à l’autre. Par exemple, alors que la chute était de 12 % au Venezuela et de 32 % pour l’ensemble des pays andins, elle a atteint 29 % aux Caraïbes, 22 % au Mexique et au Chili et 6 % en Amérique centrale. Quant à la chute des importations, on trouve des différences similaires entre les pays pendant l’année 2009, semblable à celle qui a eu lieu lors de la crise de la dette externe en 1982. Si l’on fait l’analyse par secteurs, les exportations minières et pétrolières ont été les plus affectées, avec une chute moyenne de 42.3 %, tandis que celles des manufactures sont tombées de 25,4 % et celles agricoles de 18,4 %.
Selon les analyses de la Cepal, la réactivation économique sera plus notoire en Amérique du Sud et en Amérique centrale, des régions qui pourraient atteindre des taux de croissance de 4,7 % et 3 % en 2010, alors qu’aux Caraïbes le rétablissement serait de seulement de 1,8 %. Le Brésil viendrait en tête de la liste des pays qui auront une croissance plus importante : 5.5 %, suivi par le Pérou et l’Uruguay (5 %) et la Bolivie, le Chili et le Panama (4,5 %), l’Argentine, l’Équateur et le Surinam (4 %). Le Mexique aurait une croissance d’à peine 3.5 %, idem pour le Costa Rica et la République dominicaine.
Le 29 septembre 2009, sept pays latino-américains ont enfin signé l’acte de naissance officielle de la Banque du Sud, un projet qui avait démarré en décembre 2007, afin de financer des programmes de développement économique et social dans les États membres. En créant cette banque régionale de développement, les présidents d’Argentine, du Brésil, de Bolivie, d’Équateur, du Paraguay, d’Uruguay et du Venezuela, réunis sur l’île de Margarita au Venezuela lors du sommet Amérique du Sud-Afrique (Asa), espèrent se soustraire à la tutelle des créanciers internationaux, en particulier du FMI et de la Banque mondiale, qui, depuis six décennies, ont contraint les pays pauvres du sous-continent à accepter des conditions de prêts exécrables, la déréglementation et la privatisation du patrimoine public et des services de base qui ont ainsi été laminés dans la région. La Banque siégera à Caracas, au Venezuela, mais ouvrira aussi des succursales en Argentine et en Bolivie. Elle comptera sur un capital de départ de 20 milliards de dollars (14 milliards d’euros) apporté par les pays membres, et doit garantir un fonctionnement démocratique en mettant en pratique le principe un pays = un vote.
Compensation régionale
À cette riposte latino-américaine aux organismes multilatéraux de crédit, vient s’ajouter la création du Fonds du Sud, un fonds commun de réserves alternatif au FMI, qui serait une sorte de réseaux des Banques centrales pour qu’elles agissent conjointement afin d’établir une coopération et une coordination macroéconomique orientées vers la création d’un marché de valeurs continental, d’une matrice d’accords de crédit réciproques et d’un système de facilités d’assurances pour les balances de paiement et les émergences fiscales.
En troisième lieu, en vue de donner un soutien financier majeur aux initiatives précédentes, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (Alba) ont pris la décision de mettre en place le Système unique de compensation régionale (Sucre) pour les échanges commerciaux entre ces pays, qui entrera en vigueur en 2010. Le Sucre est conçu comme un système de compensation régionale de paiements en temps réel des transactions de commerce extérieur au travers de l’utilisation d’une monnaie électronique. Celle-ci accomplit la fonction d’unité de compte entre les Banques centrales qui, à leur tour, couvriront ces opérations commerciales dans leurs monnaies nationales respectives. Cela permettra de construire les demandes endogènes continentales avec la perspective de devenir une monnaie physique régionale.
Cette initiative d’intégration monétaire n’a pas de précédent dans le monde, mise à part la création de l’écu, puis de l’euro en Europe. Elle vise à renforcer les États membres face aux risques de déstabilisation financière tout en consolidant l’intégration régionale et les échanges intra-zone, en mettant en pratique la transparence, la solidarité et la complémentarité, et non pas la concurrence.