Internet un jour, Internet toujours : je me jette sur les nouvelles pour lire, en suivant les lettres de mon gros doigt, des mots horribles, « Gaza : trois journalistes tués »… Horrifié, je n’ai pas le temps de finir ma lecture parce que mon chat me gonfle par son impératif absolu, celui de l’heure :
– « Mon Navigo est naze, donne-moi un ticket !
– Ah bon, pour aller où ?
– À la Cité de la Musique pour écouter Tabachnik jouer du Xenakis.
– « Ça change tout ! Là c’est du grand. Prends quatre tickets et ne bade pas devant la pub pour Sheba dans le métro. »
Sans même me dire « merci », mon chat file. Quand je dis « mon » chat, c’est plutôt moi qui suis son homme. Parti le félin qui ne fait pas l’autre, je continue, encore apeuré, ma lecture. En me disant « pourvu qu’ils n’aient pas tué Christophe Barbier ». Hagard, je poursuis les lettres : « Trois journalistes palestiniens tués à Gaza… » Et là, je suis vraiment en colère. Comment peut-on jouer ainsi avec les nerfs, l’émotion, la substance des gens. Tout est dans la précision, « palestiniens ». On nous fait faire du sang d’encre, craignant le pire. Qu’outre Barbier on nous ait flingué Pujadas et pourquoi pas F.O.G. tant que l’apocalypse y est. La phrase complète « trois journalistes palestiniens » me rassure, aucun vrai journaliste n’a été tué. Ouf.
On nous avait déjà fait le coup en 2006 quand, dans leur juste combat pour leur sécurité, les militaires israéliens avaient tué un Libanais présenté, lui aussi, comme « journaliste ». La bonne blague. Heureusement, on précisait qu’il travaillait pour un journal « proche du Hezbollah » ce qui relâchait l’émotion. À cet instant je me suis mis à penser à mon merveilleux ami, Jean-Pierre Elkabach. Et je me suis dit, me torturant les doigts d’angoisse, pourvu que mon JPE ne prenne jamais une balle ou une bombe perdue. Et pourquoi, dites-vous dans votre abyssale sottise ? Parce que vous voyez l’AFP en train d’écrire : « Jean-Pierre Elkabach, un journaliste proche de VGE, de Tonton, de Chichi, de Sarko et de Plat Pays a été tué à Gaza… » Trop long, trop compliqué pour placer dans un communiqué ayant la sécheresse de la douleur. Donc forcément lapidaire, comme on dit dans la charia.
Pour revenir sur le terrain, celui de Gaza, cité fière de son passé et sûre de son avenir, il ne vous a pas échappé que les journalistes, ces tigres de papier, sont l’objet de carton de la part de la si démocratique Tsahal, l’armée « de défense ». Morts, jambe coupée, blessures multiples, bureaux et immeubles de presse éventrés ne sont sûrement que des bavures. Au moment d’appuyer sur le bouton de son missile, le pilote sûrement a éternué, enrhumé qu’il est par un terroriste du Hamas. Impossible d’imaginer qu’un pays dont le ministère des Affaires étrangères est tenu par un ancien videur de boîtes de nuit, mais aussi fasciste, puisse viser la liberté de dire et d’écrire.
En ce qui me concerne, et pour avoir été trop souvent sous leur pomme d’arrosage, j’aime bien les pilotes de chasse. Ils font un métier qui fait rêver les enfants et, par ailleurs, simplifie le boulot à Netanyahou. Imaginez que, pour faire la guerre, il lui faille faire comme les commandos de la France Libre entre 1940 et 1944, comme ceux du FLN ou autres mouvements pas gentils de l’Histoire, donc qu’il faille mettre des bombes dans les trains, les bistrots ou les gares. C’est tuant. En revanche, là, vous avez des pilotes. Ils sont sportifs, jolis garçons, diplômés et citoyens exemplaires. Le matin ils peuvent aisément pulvériser une famille à Gaza et, l’après-midi, tondre la pelouse et aller chercher les enfants à l’école. Citez-moi un système plus parfait. Sauf celui des drones où, depuis un bureau paysagé de Washington, on peut flinguer une noce au Pakistan avant d’aller à la cafétéria, puis une autre après l’expresso.
En dehors de quelques cinéastes drogués, avez-vous vu, à l’époque heureuse du Vietnam, quiconque dénoncer comme « terroriste » un pilote d’avion qui vous largue ses tonnes pyrotechniques sur la gueule ? Un bombardier c’est un technicien, l’égal du garçon qui, pour Orange, vient vous restaurer la Life Box.
Un conseil à mes confrères. Faites gaffe. En 2000, au moment de la seconde Intifada, Israël étant en train de perdre « la guerre des images » (cinquante enfants palestiniens tués pour zéro mort en face), subitement les balles ont été aimantées vers le corps des journalistes : vingt-neuf blessés de presse en une semaine. Le signal de départ était donné : « Foutez le camp qu’on puisse écraser en paix. » Bonnes filles, les rédactions du monde entier ont compris ce langage du signe et retiré leurs envoyés spéciaux. Donc, double ration de gilets pare-balles pour ceux qui s’entêtent à Gaza et, par là même, s’affirment comme des alliés objectifs du terrorisme.