La diplomatie française joue la marche turque
La France accepterait-elle une participation d’Al Qaïda à un nouveau pouvoir en Libye, à condition que l’organisation islamiste accepte de revêtir des défroques démocratiques ?
On peut se poser la question et s’en inquiéter depuis qu’Alain Juppé a défini une nouvelle diplomatie, préconisant le dialogue avec les islamistes. Ce dialogue, on sait ce qu’il a donné en Afghanistan. Juppé est au courant tout de même des déconvenues américaines. En réalité, il s’agit certainement d’un aveu.
Cet aveu, c’est que les «révolutions arabes» déboucheront sur des régimes démocratiques, à domination islamiste. C’est reconnaître que les seules forces organisées, dans le monde arabe après la chute des régimes autoritaires, ne sont pas les démocrates à l’occidentale, financés par les Américains, mais les islamistes.
Dans la flagornerie de Paris vis-à-vis des contestations arabes, il y a un espoir déjà évoqué ici : que s’impose partout un modèle turc. C’est à dire, un régime dominé par des islamistes jouant politiquement le jeu démocratique, tout en islamisant la société. Mais la Turquie n’est pas un pays arabe. Et l’armée continue à y jouer un rôle de garant de la laïcité.
Reconnaître à des islamistes, en Tunisie ou en Egypte, le statut d’interlocuteur valable, en tant que représentant d’un courant démocrate–musulman, comme il y a un courant démocrate-chrétien, c’est tout de même manifester une imprudence proche de l’angélisme. Notre nouvel «homme fort» demande aux musulmans: «surprenez-nous, nous allons aussi vous surprendre.» Pour être surpris, on peut prendre le pari qu’il le sera; et pas qu’un peu.
On peut parler de véritable tournant, sans pour autant le justifier, ni même le comprendre. Lors d’un colloque sur « le printemps arabe » organisé par le Quai d’Orsay, le ministre des Affaires étrangères préconisait donc l’ouverture d’un dialogue avec les islamistes modérés. Certains estiment que cette catégorie n’existe pas, qu’il y a les islamistes obscurantistes et les islamistes pragmatiques.
Une sorte de taliban démocratique
Mais leur but est le même : instituer un régime conforme aux règles du Coran dont l’aspect démocratique reste à prouver. «Nous devons parler, échanger des idées avec tous ceux qui respectent le jeu démocratique et, bien sûr, le principe fondamental du refus de toute violence… Je souhaite qu'il s'ouvre, sans complexe, aux courants islamistes, dès lors que les principes que je viens d'évoquer (…) sont respectés de part et d'autre ».
Prenons deux exemples pour démontrer que Juppé brûle ce que la diplomatie française avait adoré. Lorsque le Front islamique du Salut a gagné le premier tour des élections législatives en Algérie en 1992, la France fut parmi les premières nations à applaudir la décision de l’appareil militaire algérien d’avorter cette expérience démocratique. Lorsque le Hamas palestinien a remporté les élections en territoires palestiniens, en janvier 2006, la diplomatie française s’était alignée sur la position américaine de mettre en quarantaine ce mouvement.
Il est vrai que ces islamistes-là n’avaient pas renoncé à la violence, tout en s’inscrivant dans un processus démocratique. Il a admis que la France avait eu tort de soutenir les despotes arabes, ce qui ne l’a pas gêné dans ses précédents postes ministériels, au prétexte qu’ils étaient un rempart contre l’islamisme. Ce qu’ils ont été et cela devrait faire sérieusement réfléchir en Turquie.
Alain Juppé conclut que les révolutions en cours étaient une étape dans la longue marche arabe vers la modernité. Il croit, comme Bush, à la fin de l’histoire et au système mondialiste universel. Et il a ajouté que la France ne craignait pas ces révolutions-là… Même en passant par la case islamiste.
Alain Juppé est décidément droit dans ses bottes. Et ne tire leçon de rien, pas même de son expérience démocratique rwandaise tournant au génocide. Il appartient à cette race d’hommes assurés que leurs idées feront le bonheur de l’humanité… Il y a dans ce personnage du totalitaire idéologique qui s’ignore. Alain Juppé est, en fait, une sorte de taliban démocratique. Attention danger !