Samir Amin est un marxiste égyptien, analyste politique et auteur. Il est le directeur du Forum du Tiers-Monde à Dakar (Sénégal). Il nous livre son analyse des événements en cours.
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L’armée a pris soin de ne pas prendre part à la répression afin de préserver son image.
C’est là qu’intervient ElBaradei. Il est toujours plus célèbre à l’étranger qu’en Égypte même, mais cela pourrait très vite changer. C’est un « libéral », n’ayant aucune autre vision de la manière de gérer l’économie que celle qui est actuellement d’application, et ne comprend pas que c’est justement cette gestion économique qui est à l’origine du ravage social. Tout ce qu’il a de démocrate réside dans deux choses : le souhait de mettre en place de « vraies élections » et de faire respecter la loi (c’est-à-dire mettre un terme aux arrestations et aux tortures, etc.).
Il n’est pas impossible qu’il joue un rôle dans la transition. Cependant, ni l’armée ni les services de renseignements ne vont abandonner leur position prépondérante dans la société. Est-ce que ElBaradei sera en mesure de l’accepter ?
Dans le cas d’une « réussite » et de la mise en place d’ « élections », les Frères musulmans seront la fraction principale au Parlement. Les États-Unis encouragent ce cas de figure et ont, d’ailleurs, qualifié les Frères musulmans de « modérés ». C’est normal puisque les Frères musulmans acceptent la soumission à la stratégie américaine et laissent Israël libre de continuer à envahir la Palestine. Les Frères musulmans sont également en faveur du système de « marché » actuel, qui dépend totalement de l’extérieur. En réalité, ils sont également en faveur de la suprématie de la classe bourgeoise « compradore » (soumise à l’étranger, NdlR) au pouvoir et se sont opposés aux grèves de la classe ouvrière et à la lutte des paysans pour préserver la propriété de leurs terres.
Le plan des États-Unis pour l’Égypte est très semblable au modèle pakistanais : mettre en place un pouvoir qui combine « islam politique » et services de renseignements de l’armée. Les Frères musulmans pourraient compenser leur alignement à une telle politique en n’étant justement « pas modérés » dans leur attitude vis-à-vis des coptes (minorité chrétienne en Égypte, NdlR). Un tel système peut-il réellement être qualifié de « démocratique ? »
Le mouvement actuel regroupe des jeunes de la ville, essentiellement des gens possédant un diplôme, mais ne trouvant aucun travail, soutenus par des personnes de la classe moyenne, des démocrates. Le nouveau régime pourrait peut-être faire des concessions – engager davantage au sein de l’État- mais pas beaucoup plus.
Il est clair que les choses pourraient changer, si la classe ouvrière et le mouvement paysan montaient au pouvoir, mais il semble que ce ne soit pas à l’ordre du jour.
Bien évidemment, aussi longtemps que le système sera géré en adéquation avec le « jeu de la mondialisation », aucun des problèmes soulevés par le mouvement ne
sera résolu.