S’il y a un président en exercice qui pleure encore le départ à la retraite de l’ancien président américain George W. Bush, c’est bien Abdoulaye Wade du Sénégal. L’agrégé des universités françaises répétait inlassablement, à qui voulait l’entendre, qu’il était l’ami de « Double You ». « S’il avait été encore là, pour sûr, il serait venu à l’inauguration de ma statue », devait se dire intérieurement le président sénégalais le 3 avril dernier, au baptême de l’imposante statue de la Renaissance africaine juchée sur l’une des collines volcanique des Mamelles en plein Dakar, la capitale sénégalaise.
Le successeur de Bush n’a pas, envers le maître de Dakar, les mêmes dispositions que son prédécesseur. Barack Obama, le « frère africain », n’a pas jugé utile, en effet, de participer aux réjouissances d’une statue symbolisant, selon la prose de son auteur, « une force de propulsion et d’attraction vers la grandeur, la stabilité et la pérennité de l’Afrique ». À défaut d’Obama, Wade voulait au moins Nicolas Sarkozy, le président français. Échec. Il a donc dû se contenter de ses pairs africains… Mais pourquoi diable les grands de ce monde, qui aiment rappeler qu’ils sont las d’aider l’Afrique, ont-ils boycotté la cérémonie d’un monument censé incarner la volonté des Africains de se prendre en charge eux-mêmes ? Parce qu’ils trouvent ledit monument trop cher (entre 18 et 23 millions d’euros) ? Parce qu’ils ne voient en la statue que la mégalomanie de son auteur ?
Aucun des « grands » dirigeants européens ne s’est exprimé ouvertement sur la question. En France, le pouvoir a laissé sa presse répondre à sa place. Chaque journal, chaque télé, chaque radio y est allé de son couplet. Pour celui-ci, Wade, atteint de sénilité, ferait désormais n’importe quoi ; pour tel autre, il s’agirait d’une œuvre « maçonnique » parce que inaugurée aux alentours de l’an « 111 » (le triptyque serait maçonnique). Un grand ouléma d’Afrique du Nord, présent à la cérémonie, m’a soufflé que tout cela n’était que jalousies. « C’est le mauvais œil », m’a-t-il convaincu, du nom de cette croyance répandue, notamment, autour de la Méditerranée. S’il ne s’agissait que d’une statue représentant Wade et sa famille dans un style « ceaucescusien », nous aurions volontiers abandonné la stèle au courroux des pauvres Dakarois. Mais, nous expliquent Wade, sa famille, son clan et sa cour, il s’agit d’un monument dédié à tous les Africains. Rien que pour cela, nous devons, tous ensemble, empêcher le mauvais œil européen et sénégalais de détruire cette « grande œuvre ».
L’ouléma cité plus haut m’avait assuré qu’Obama et Sarkozy ne pouvaient pas aller à Dakar, parce qu’ils seraient jaloux de la statue de la Renaissance, plus haute que la statue de la Liberté aux États-Unis et la tour Eiffel en France. Comme ils ne le supportent pas, ils regardent le monument de Wade avec le mauvais œil. Et comme le mauvais œil des puissants est plus redoutable que celui des faibles opposants, il y a urgence à conjurer ces sortilèges supposés. Les « frères » du Maghreb, du Machrek et du monde islamique doivent exporter d’urgence à Dakar de nombreuses « mains de Fatima » et quantité de henné et d’encens, pour briser les regards.
à tout dire, il faudra dès à présent penser à protéger la statue des éruptions volcaniques. Avec tous ces dégâts matériels et psychologiques causés ces derniers temps par les nuages de cendres au-dessus de l’Europe, il y a lieu de surveiller, pour l’anéantir, toute activité volcanique sur les Mamelles de Dakar. Je n’ose pas imaginer un volcan non anticipé venir détruire une œuvre censée durer 1 100 ans. S’étant autoproclamé concepteur de la statue en lieu et place de son concitoyen, le sculpteur Ousmane Sow – qui en revendique également la paternité –, Wade a décidé un bon matin de s’arroger tous les bénéfices liés à sa visite et aux activités alentour, qu’il voit déjà plus florissantes que celles de la tour Eiffel. Se rappelant que le site appartient à l’État sénégalais, il a finalement consenti à ne plus se réserver, pour lui et sa progéniture, que 35 %.
Quiconque visitera la statue de la Renaissance enrichira donc la famille Wade. Un vieux marabout sénégalais me disait l’an dernier, alors que l’homme au centre de la statue n’avait pas encore de tête, mais tenait déjà à la main un bébé regardant vers l’horizon : « Tu vois ce bébé sur la statue ? C’est Karim, le fils du président. Quand on aura mis la tête à l’endroit, vous verrez que l’homme qui le tient, c’est le président Wade. Il a fait une statue pour nous dire que c’est Karim qui doit nous guider vers la renaissance. » Manifestement, chasser le mauvais œil autour de la statue ne sera pas de tout repos.