Les néoconservateurs de Washington, de Tel-Aviv et de Paris jubilent : Laurent Fabius, a été le premier à annoncer l’échec des pourparlers, dans la nuit du 9 au 10 novembre dernier, au bout de trois journées de discussions intenses entre le groupe des « 5+1 » (les membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne) et l’Iran. Quelques heures plus tôt, le ministre français des Affaires étrangères avait publiquement affiché son désaccord. « Il y a quelques points sur lesquels nous ne sommes pas satisfaits », déclarait-il en citant le cas du réacteur à eau lourde d’Arak, « extrêmement proliférant » et la question de l’enrichissement de l’uranium. « Il y a tout un stock enrichi à 20 %, c’est beaucoup. Comment redescendre ce stock vers 5 %, ce qui est beaucoup moins dangereux ? Si ces questions-là ne sont pas réglées, ce ne sera pas possible », insistait le chef de la diplomatie française, soulignant la divergence entre Paris et Washington, mettant en garde contre « un jeu de dupes » et rompant la confidentialité de la négociation.
Malgré son engagement téléphonique solennel avec Barack Obama – datant du 8 novembre – de ne pas s’opposer à l’accord en vue, Benjamin Netananyahu s’est employé à faire tout le contraire : torpiller la négociation jugée « mauvaise » et « dangereuse » pour la sécurité d’Israël. Le premier ministre israélien a aussitôt appelé David Cameron, Vladimir Poutine, Angela Merkel et François Hollande en leur demandant de faire blocage.
Paris s’est aussitôt exécuté sans retenue, se focalisant sur le texte du projet d’accord intérimaire, décrit par les diplomates du Quai d’Orsay comme le fruit de discussions principalement bilatérales entre Américains et Iraniens et présenté comme un « fait accompli » aux autres puissances. Prise de court par l’obstruction française, la délégation américaine n’a guère apprécié. « Les Américains, l’Union européenne et les Iraniens travaillent intensément depuis plusieurs mois sur cette proposition et ce n’est rien d’autre qu’une tentative de M. Fabius de s’immiscer au dernier moment pour jouer un rôle dans la négociation », commente un membre de la délégation américaine.
Durant toute la journée du 9 novembre, le ministre français et sa délégation ont donc réclamé un durcissement des conditions du projet d’accord intérimaire en donnant une large publicité aux différents points suivants :
– des garanties supplémentaires concernant le gel de la construction du réacteur à l’eau lourde en construction à Arak, destiné à la recherche et susceptible de permettre la production de plutonium de qualité militaire, une deuxième voie d’accès à la bombe. Dans le projet d’accord initial, les Iraniens se seraient engagés à ne pas mettre en marche le réacteur pendant les six mois de l’accord intérimaire, tout en continuant à le construire ;
– des garanties sur la neutralisation du stock de 186 kg d’uranium enrichi à 20 % (transfert à l’étranger plutôt que dilution ou conversion en oxyde de fuel) et sur le « programme d’enrichissement en général » ;
– le calendrier de l’allègement des sanctions économiques réclamé par Téhéran. L’une des principales mesures envisagées porterait sur le déblocage progressif par les États-Unis d’environ 50 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés sur des comptes étrangers, une mesure qui ne relève pas du Congrès mais de l’exécutif américain. Paris affiche sa réticence à une levée des sanctions européennes, en estimant que l’Union européenne n’a pas la même souplesse et risquerait de démanteler son régime de sanctions, sans possibilité de le remettre en place, en cas de violation.
Tel-Aviv peut être satisfait, d’autant que François Hollande doit se rendre prochainement en Israël où il fera, comme François Mitterrand en son temps, un discours devant la Knesset. Riyad aussi applaudit des deux mains. Depuis quelques mois, la France se pose en interlocuteur privilégié d’une Arabie Saoudite de plus en plus inquiète de la montée en puissance de l’Iran et du repli américain au Moyen-Orient. Paris et Riyad convergent dans leur hostilité à un Iran nucléaire et dans le soutien à l’opposition syrienne pour faire chuter Bachar al-Assad(1). Depuis le début de l’année, le réchauffement des relations bilatérales s’est traduit par la signature de 5 milliards d’euros de contrats par des entreprises françaises et cinq autres sont attendus d’ici à la fin de l’année. Enfin, après la volte-face d’Obama sur les bombardements programmés contre la Syrie, le président français n’est pas mécontent de prendre ainsi une petite revanche sur Washington.
Les représentants du groupe « 5+1 » et de l’Iran devaient se retrouver le 20 novembre à Genève au niveau des directeurs politiques. Par ailleurs, Téhéran et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ont trouvé, le 11 novembre, un accord sur une « feuille de route » en six phases, prévoyant notamment une inspection du site d’Arak et de la mine d’uranium de Gachin.
À l’évidence, Laurent Fabius continuera à tenir la même position de blocage, tandis qu’à Paris nombre d’acteurs politiques et d’observateurs se demandent quels intérêts proprement français motivent une telle attitude. A-t-on entendu l’Allemagne, qui continue à renforcer ses parts de marché en Iran, dire quoi que ce soit ?
Tandis que Britanniques et Américains continuent à faire des affaires avec Téhéran sous licence canadienne ou australienne, Paris prend la tête d’une croisade à laquelle la France n’a rien, mais vraiment rien à gagner… Dans cette affaire, le facteur personnel du ministre français des Affaires étrangères a été déterminant sans que l’on comprenne toutes ses raisons ! Ce positionnement perdurera vraisemblablement jusqu’en mars 2014, jusqu’au remaniement ministériel annoncé. Comme on dit à Damas : « N’ayons crainte, le soldat Laurent tombera avant Bachar. »
(1) Les Saoudiens veulent mettre sur pied « une nouvelle armée nationale » syrienne de 40 000 à 50 000 combattants et envisagent de confier à des instructeurs pakistanais l’entraînement de deux brigades rebelles, soit entre 5000 et 10 000 combattants. En plus de son programme d’entraînement en Jordanie, l’Arabie Saoudite a soutenu l’unification d’environ 50 brigades rebelles dans une Armée de l’islam dirigée par Zahran Alloush, un commandant salafiste, fils d’un religieux basé dans le royaume wahhabite.