Pendant un mois, les Égyptiens ont été tenus dans l’ignorance, par les médias officiels, d’un événement dont l’ampleur et les conséquences militaires sont pourtant appelées à peser d’un poids très lourd sur leur destin. Cinq mille cinq cents soldats américains ont participé avec l’armée égyptienne aux manœuvres Bright Star III. Des parachutistes venus de Fort Bragg (Caroline du Nord), des troupes héliportées en provenance de Fort Cambell (Kentucky) et des troupes d’infanteries arrivées de Fort Stewart (Georgie) ont essaimé dans le désert égyptien à proximité du Caire, tandis que les bombardiers stratégiques B-52, les chasseurs F-16 et les chasseurs-bombardiers F-111 sillonnaient le ciel de la vallée du Nil.
Certes, même dans les démocraties occidentales, les importantes décisions militaires (guerre, intervention) sont prises en haut lieu, sans consultation préalable des citoyens. Mais le dilemme qui se pose à Hosni Moubarak ne concerne pas simplement le problème de la démocratisation de la vie politique égyptienne, dont il veut cependant faire un acquis de son début de règne. Il porte aussi sur la question que soulève tout Égyptien après la signature de Camp David. Ce traité en effet supposé avoir mis fin définitivement à l’état de guerre avec Israël et ouvert à l’Égypte une ère de paix civile au cours de laquelle tous les efforts tendront à réaliser le développement et la prospérité. Là réside l’essentiel de l’argumentation de Sadate, reprise par son successeur.
Dès lors les manœuvres égypto-américaines, qui ont un caractère annuel, et la course aux armements qu’elles impliquent et qui grève forcément les autres dépenses posent le problème de leur utilité et, surtout, de l’objectif poursuivi : qui est l’ennemi ? Israël, répond contre toute vraisemblance le maréchal Abou Ghazal, l’homme qu’Anouar el-Sadate avait nommé à la tête de son armée après que son précédent état-major, presque au complet, eut été décimé dans un accident d’hélicoptère. Pour accréditer cette idée, le maréchal a organisé l’année dernière, juste avant la tenue des manœuvres Bright Star II, des exercices militaires égyptiens dans le Sinaï contre un ennemi supposé « venu de l’Est », c’est-à-dire d’Israël.
De même, juste avant le début des manœuvres Bright Star III, Abou Ghazala a tenu une conférence de presse pour annoncer la fabrication du premier char d’assaut égyptien vers la fin de l’année prochaine. Le développement des forces armées égyptiennes, a-t-il affirmé à cette occasion, doit répondre à la dimension terrifiante prise par la puissance militaire israélienne. Le maréchal soutient en définitive qu’Israël est l’ennemi et que, en coopération avec les États-Unis, et avec leur soutien, l’Égypte peut espérer égaler cet « ennemi ». Ce discours est à ce point contradictoire qu’il ne se trouve guère que la presse arabe du Golfe pour le reproduire comme un témoignage de la « position nationale » de l’Égypte qui devrait bientôt réintégrer les rangs de la Ligue.
Les manœuvres Bright Star III sont venues balayer ce rideau de fumée. Elles rappellent que l’armée égyptienne n’a été détournée du front israélien que pour être intégrée dans une vaste structure militaire dominée par les États-Unis. Comme l’expliquent sèchement les agences de presse au sujet de Bright Star, « depuis 1980, le Pentagone procède chaque année à des manœuvres militaires engageant la Force de déploiement rapide qui a pour mission de protéger les intérêts américains au Proche-Orient et notamment dans la zone du Golfe » (AFP). Il faut donc croire que les intérêts de l’Égypte se confondent avec ceux des États-Unis. […]