Le 19 avril 2013, Maria Eugenia Neto, veuve d’Agostinho Neto, premier président de l’Angola indépendant, a été condamnée pour diffamation par un tribunal de Lisbonne à une amende d’environ 3 000 euros. En 2008, lors d’une interview à l’hebdomadaire portugais Expresso, elle avait qualifié de « menteuse et malhonnête » une historienne portugaise. La « victime », Dalila Cabrita Mateus, auteure du livre Purge en Angola, publié à Lisbonne en mai 2007, a déposé plainte. Le tribunal lui finalement a donné raison – au nom de la sauvegarde de sa réputation et de son professionnalisme –, sans toutefois être en mesure d’examiner le fond de la question, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles Mme Neto, d’origine portugaise, s’est exprimée de la sorte. Or, c’est cela qui compte. Construit entièrement à charge, le livre se veut une enquête universitaire sur un épisode, douloureux à plus d’un titre, de l’histoire de l’Angola indépendante : la sanglante tentative de renversement d’Agostinho Neto par la faction du MPLA, dirigée par Nito Alves.
À l’aube du 27 mai 1977, la prison de Luanda est prise d’assaut et la radio nationale est occupée par les putschistes. Parmi les premières victimes, une dizaine de dirigeants, pour la plupart issus de la guerre de libération anticoloniale, dont certains avaient une aura nationale et jouissaient d’une grande popularité. Faits prisonniers pendant les premières heures de la matinée, souvent au hasard des barrages érigés dans les rues de la capitale, ils ont été sauvagement tués le soir même dans un quartier populaire de la capitale. Le putsch avait pourtant déjà été étouffé depuis plusieurs heures, ses principaux leaders étant en fuite. Seul survivant, le commandant Ciel da Conceiçao « Gato », donné pour mort sous l’amas de corps de ses compagnons criblés de balles.
Il est impossible d’analyser en quelques lignes les racines et les objectifs de ce courant factieux. Je peux juste témoigner du fait que, contrairement à ce que certains essayistes ont pu écrire, notamment en Europe, il ne s’agissait pas d’une tendance gauchiste se battant pour une accélération du processus révolutionnaire, et encore moins pour des exigences démocratiques, comme on a parfois voulu le faire croire a posteriori.
La faction de l’ambitieux Nito Alves visait à établir un pouvoir bien moins consensuel que celui existant, déjà fort perturbé par le climat de guerre dans lequel était né l’Angola indépendant – un modèle inspiré du système soviétique, pour lequel Alves affichait la plus grande admiration. Dans ses « thèses », Nito Alves avait qualifié de « trahison » le non-alignement de l’Angola du président Neto et prônait ouvertement une alliance inconditionnelle – et exclusive – avec Moscou. Certes, pour élargir ses assises, Alves n’avait pas hésité à puiser dans le registre populiste, tenant parfois les propos les plus déconcertants, teintés de racisme.
Avant le 27 mai 1977, j’avais rencontré des cadres supérieurs du gouvernement qui se trouvaient être des sympathisants de Nito. Spontanément, certains ont déclaré vouloir boycotter de l’intérieur toute coopération avec des pays européens (y compris la Yougoslavie de Tito !), car la seule option à considérer était le resserrement des liens avec l’URSS – thèse alors en vogue dans une frange du Parti communiste portugais.
En tant que ministre de l’Intérieur, Alves s’était auparavant distingué par la répression des groupes d’extrême gauche agissant en marge du MPLA, mais ces antécédents ne figurent que rarement dans les écrits le concernant, qui, le plus souvent, tendent à en faire une victime de la « dictature ». Rares sont ceux qui ont un mot pour les victimes du putsch. Pourtant, en nombre et en statut, elles constituent la perte la plus grave de cadres supérieurs de l’histoire du MPLA.
Fort malheureusement, après cette tentative, la répression engagée par les organes de sécurité devint, au fil des semaines de plus en plus incontrôlée et débridée.
L’historienne portugaise avance le chiffre de 30 000 morts et affuble Agostinho Neto du quolibet de « dictateur pire que Pinochet ». Je considère ce chiffre totalement invraisemblable, ne serait-ce que par les caractéristiques sociologiques de l’Angola à l’époque. Ces graves accusations, systématiquement reprises dans les médias, exigeraient une courageuse mise au point du MPLA, sinon la création d’une commission d’enquête composée de vrais historiens. C’est à cause de ce silence que certains ont pu défendre la thèse encore plus fantaisiste selon laquelle le coup d’État a été une manipulation d’Agostinho Neto pour se débarrasser de son aile gauche.
La réalité est bien différente. Le président Neto fut terriblement affecté par cette tragédie qui a opposé d’anciens compagnons de la lutte, des membres d’une même famille, plongeant des centaines de milliers de militants dans la consternation. La décision impromptue – et solitaire – de dissoudre séance tenante le principal organe de sécurité de l’État (Disa), dont il désapprouvait les méthodes, témoigne de la volonté du président Neto de mettre fin à tout abus.
« Les tribunaux ne peuvent pas se charger d’écrire l’Histoire », a-t-on rappelé à Mme Neto, qui entend toutefois déposer un recours. Ce sera pour elle un exercice douloureux que d’essayer d’expliquer à nouveau ce qui a motivé les mots qui lui ont valu cette condamnation. La plaignante, elle, peut se considérer doublement satisfaite : son éditeur a lancé une deuxième édition du livre, toujours catalogué comme travail scientifique…